Mucoviscidose

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PEDIATRIE GF:NF:RALE mucoviscidose G. LENOIR, C. TURBERG-ROMAIN La mucoviscidose est la plus fr6quente des mala- dies r6cessives autoso- miques dans les popula- tions blanches d'origine europ6enne. En France, sa fr6quence est en moyenne de 1/2500 naissances vivantes. L A maladie atteint aussi bien les garqons que les filles et ne se manifeste clinique- ment que chez des sujets homozygotes. Un couple qui a d~jfi eu un enfant porteur de mucoviscidose a un risque de 1/4 d'avoir un autre enfant atteint. Tous les organes s~cr~tant du mucus (principale- ment les muqueuses respiratoires et digestives) vont se trouver bloqu~s dans leur fonctionnement : en effet, ce mucus comporte une anomalie dans sa composition biochimique et dans sa cohesion mol~culaire. 194 Maladie ~l multiples aspects, la mucoviscidose pr~- sente des sympt6mes particuliers aux diff~rents ]ges des malades. Au cours de la vie foetale, la mucoviscidose peut se r~v~ler par une forme particuli~re d'occlusion intestinale visible ~tl'~chographie et appelde l'il~us m~conial, sur les consequences duquel on a fond~ une m~thode directe de diagnostic ant~-natal la 18 e semaine de grossesse. A la naissance Quatre situations ~voquent une mucoviscidose (en dehors d'une notion d'atteinte familiale): ~r * v le retard de I evacuation du meconmm; une occlusion intestinale dfie a I lleus meconlal l'ict~re r&entionnel; plus rarement, une obstruction des petites bronches qui peut conduire ~ une d6tresse respiratoire. Autant de situations qui requi~rent une confirma- tion biologique. Au cours du premier &ge L'association de deux signes est typique: une toux du type coqueluche, s~che, constante, r~veill~e par les cris, le rire, accompagn~e parfois d'une expectoration visqueuse; pr G. LENOIR, D~partement de P~diatrie, H6pital des Enfants-Malades, Paris. C. TURBERG-ROMAIN, p~diatre. Journal de PI2DIATRIE et de PUI~RICULTURE n ~ 4-1988

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PEDIATRIE GF:NF:RALE

m u c o v i s c i d o s e G. L E N O I R , C. T U R B E R G - R O M A I N

La mucoviscidose est la plus fr6quente des mala- dies r6cessives autoso- miques dans les popula- tions blanches d'origine europ6enne. En France, sa fr6quence est en moyenne de 1 /2500 naissances vivantes.

L A maladie atteint aussi bien les garqons que les filles et ne se manifeste clinique- ment que chez des sujets homozygotes. Un couple qui a d~jfi eu un enfant porteur

de mucoviscidose a un risque de 1/4 d'avoir un autre enfant atteint. Tous les organes s~cr~tant du mucus (principale- ment les muqueuses respiratoires et digestives) vont se trouver bloqu~s dans leur fonctionnement : en effet, ce mucus comporte une anomalie dans sa composition biochimique et dans sa cohesion mol~culaire. 194

Maladie ~l multiples aspects, la mucoviscidose pr~- sente des sympt6mes particuliers aux diff~rents ]ges des malades. Au cours de la vie foetale, la mucoviscidose peut se r~v~ler par une forme particuli~re d'occlusion intestinale visible ~t l'~chographie et appelde l'il~us m~conial, sur les consequences duquel on a fond~ une m~thode directe de diagnostic ant~-natal la 18 e semaine de grossesse.

A la n a i s s a n c e

Quatre situations ~voquent une mucoviscidose (en dehors d'une notion d'atteinte familiale):

~r * v �9 �9 le retard de I evacuation du m e c o n m m ; �9 une occlusion intestinale dfie a I lleus meconlal �9 l'ict~re r&ent ionnel ; �9 plus rarement, une obstruct ion des petites bronches qui peut conduire ~ une d6tresse respiratoire. Autant de situations qui requi~rent une confirma- tion biologique.

A u c o u r s d u p r e m i e r & g e

L'association de deux signes est typique: �9 une toux du type coqueluche, s~che, constante, r~veill~e par les cris, le rire, accompagn~e parfois d'une expectoration visqueuse;

pr G. LENOIR, D~partement de P~diatrie, H6pital des Enfants-Malades, Paris. C. TURBERG-ROMAIN, p~diatre.

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PF:DIATRIE GENERALE

�9 une diarrMe graisseuse, sous formes de sel!es abondantes, frEquentes, brillantes, nausEabondes, s 'accompagnant d'une distension gazeuse.

^ / t / I �9 D'un cote, l'obstacle cree par le mucus determine un emphys~me et amorce une colonisation bactE- rienne dans le poumon. De l'autre, il engage l'en- fant dans une situation de ddnutrition et de caren-

t , �9 / ces en protemes, lipides, vitamines et mmeraux. Dans 80 % des cas, ces troubles alertent les parents et conduisent les mddecins ~l la rEalisation d'un test Spdcifique et fiable: le test de la sueur.

Chez l'enfant jeune

Les sympt6mes prennent la forme de bronchites ! t �9 �9 ! " " repetmon avec emlssxon abondante de mucus.

A la longue, le thorax se dEforme et l'infection s'installe. La g~ne respiratoire devient un handi- cap. Les voies respiratoires supErieures sont le si~ge de rhinites, de sinusites, de polypes. Les l~vres, les doigts bleuissent. L'effort devient impossible. Par ailleurs, le caract~re anormal des selles s'af- firme, les douleurs abdominales surviennent ~ la moindre erreur alimentaire. Les occlusions intesti- nales sont frEquentes. Le dEsEquilibre nutritionnel explique le retard de croissance, l'aspect chEtif de l'enfant dans les formes les plus nettes surtout s'il s'y associe une atteinte h@atique. Chez l'adulte: il est exceptionnel d'Evoquer le diagnostic.

l ' a t te in te p u l m o n a i r e , 616ment-c l6 de la ma lad ie

L'atteinte broncho-pulmonaire domine le pronos- tic de la mucoviscidose. C'est une des causes de dEtresse respiratoire chez le nouveau-nE, entrai- nant rapidement des troubles de ventilation sus- ceptibles de laisser des sEquelles prEcoces; puis progressivement se constituent des lesions bron- chiques avec dilatation des bronches, et parenchy- mateuses avec micro-abc~s et fibrose. Ces diffEren- tes atteintes sont sous la d@endance d'infections bactEriennes Evoluant dans un mucus bronchique -visqueux >,, ~ haemophilus influenzae, staphylo- coque dorE et pyocyanique, de plus en plus rEsis- tant aux antibiotiques les plus rEcents ; elles peu- vent Evoluer parall~lement ~ des infestations myco- siques, notamment ~ aspergilius fumigatus, respon- sables d'impactions mucoi'des des bronches.

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Les principales complications de la mucoviscidose sont l 'obstruction bronchique par un mucus @ais et les surinfections broncho-pulmonaires. L'une est la consequence directe de l'anomalie qui carac- t&ise la maladie, l'autre est l'aboutissement par proliferation, dans ce milieu anormal, de germes tr~s particuliers. Habituellement, les germes retrou- vds dans les secretions bronchiques aspir~es lors d'une fibroscopie bronchique ou assimil~es aux crachats profonds (recueillis au fond de la gorge) appartiennent ~ trois famiUes : haemophilus influen- zae, staphylococus aureus et surtout pseudomonas aeruginosa. Dans certains centres de traitement de la mucoviscidose, plus de 80 % des enfants ~g~s de plus de 10 ans et atteints de l'affection, sont porteurs de fa~on permanente d'un ou de plusieurs

�9 ! ! !

varletes de ces bacilles. Le pyocyanique rencontre dans les bronches des enfants atteints de mucovis- cidose est particulier : c'est un bacille qui produit un mucus gElatmeux" et confute' une resistance' " natu- relle tr~s importante aux antibiotiques usuels.

I1 a fallu attendre ces derni~res annEes pour que l'industrie mette ~ la disposition des mEdecins et de leurs patients de nouveaux antibiotiques antipyocyaniques. Ils constituent un progr~s tMra- peutique reel: 1~ o6 auparavant aucun b~n~fice clinique n . . . . eta~t envisageable ni meme aucune r~duc- tion du nombre de germes port 's dans les bron- ches par ces enfants nYtait constatEe, on observe

/ !

avec ces molecules des resultats tr~s " ' lnteressants. Par exemple, un sujet febrile, crachant 50 ~t 100 cm ~ par jour de pus vert, et ayant du mal ~ respirer, verra en 10 ~ 15 jours sa fi~vre dispara~tre, son Etat gEnEral s'amEliorer, sa respiration aussi et la quantitE de pus produite quotidiennement s'effon- drer. I1 faut profiter de ces moments, durables ou non, pour renourrir l'enfant et lui redonner des forces afin de pratiquer, notamment, sa kindsithErapie.

les t e c h n i q u e s de k inds i th6rap ie respi ra to i re

Ces techniques ont change ces derni~res ann~es. On a acquis la certitude que la dEsobstruction des bronches dans la mucoviscidose est lu tMrapeutique determinant. Elle ne se con~oit qu'en connaissance de la physiologie de la s~cr~ti0n des bronches, de la dynamique pulmonaire et des mus- cles respiratoires. En outre, elle apporte, au sein de l'~quipe soignante, les moyens de mieux appr~- cier l'Etat secrEtoire et ventilatoire du patient, et,

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PEDIATRIE GENERALE

r~cemment, la seule possibilit~ d'extraire une part du mucus profond aux fins d'&udier le germe predominant et sa sensibilit~ aux antibiotiques, guide indispensable ~t la conduite de l'antibio- th~rapie.

les a s p e c t s g a s t r o - e n t & r o l o g i q u e s

On sait la place majeure que joue l'atteinte pan- cr~atique dans la mucoviscidose puisque c'est en

A se centrant sur elle que l 'on a meme d~crit la maladie sous le nom de fibrose kystique du pancreas. Elle aboutit ~l un d~ficit de l'assimilation des grais- ses qui joue un r61e sur la gen~se des troubles fonctionnels : diarrh~e chronique, selles pflteuses et graisseuses, retentissement sur la croissance (au d~ficit ~nerg&ique s'ajoute un d~ficit en acides gras essentiels), manifestations h~pato-biliaires. Les extraits pancr~atiques, sous forme gastro-prot~g~e, permettent, ~t une majorit~ de patients de ne plus &re astreints ~l une di&&ique compliqu~e et d'ac- c~der par un r~gime enti~rement normal qualitati- vement (graisses incluses) ~l des consommations dnerg&iques de l 'ordre de 130 fi 140 % de celles des enfants normaux ; les supplements sp~cifiques

. . . . ( lig r e s t a n t n e a n m o l n s n e c e s s a l r e s vitamines, o o- ~l~ments...). En ce qui concerne la pathologie intestinale, les anomalies qualitatives du m~conium semblent res- ponsables d'accidents observes chez environ 10 % des nouveau-n~s malades : occlusion de l'intestin gr~le, ~ grands risques sur ce terrain. Les chirurgiens- p~diatres savent reconnaStre cet il~us m~conial, le rapporter h la mucoviscidose et le traiter si possible en ~vitant une intervention abdominale grace h des lavements sp~ciaux. Les ~chographies ant~natales et l'analyse des enzymes du liquide

p �9 ! �9 ~. t ! �9 mecomal ont montre que ces accidents d ileus eta~ent frequents pendant la vie intra-ut~rine.

le t e s t d e la s u e u r

C'est l 'examen capital. Dans la maladie, le chlore et le sodium sont mal r~absorb~s par les canaux qui conduisent la sueur fi ]a surface de la peau. Le seul dosage du chlore suffit : r~alis~ selon une technique irr~prochable, le test est sensible et fia- ble. Dans ces conditions, un seul dosage peut suf-

�9 t �9 / �9 fire mais son interpretation est necessalrement faite la lumi~re des arguments cliniques du diagnostic.

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La m&hode la meilleure, en pratique, est celle propos~e par Gibson et Cooke, on provoque d'abord la sudation de l'avant-bras en faisant pas- ser pendant quelques minutes un courant de tr~s faible intensit~ ~t travers une compresse " ' ' lmpregnee de pilocarpine (ionisation transcutan~e). La sueur est alors recueillie, pes~e, puis analys~e en labora- toire ; ~t l'&at normal, la concentration du chlore est tr~s inf~rieure ~i 40 mosmols par litre. Darts la mucoviscidose, ces concentrations sont ,, tou- jours ,, supdrieurs ~t 60 mosm./1. Pour que le test soit interpr&able, il est indispensable que l'analyse porte sur une quantit~ de sueur sup~rieure ~t 100 mg. Tout test de la sueur doit mentionner la m&hode utilis~e et la quantit~ de sueur recueillie. Le test de la sueur est un test rapide, inoffensif et il est positif dans 98 % des cas de mucoviscidose. Chez ces sujets, il est positif d~s la naissance et faisable d~s les premieres semaines et durant toute la vie ; enfin, il n 'y a aucun rapport direct entre les valeurs du test (qui peuvent aller de 60 ~t 140) et la plus ou moins grande gravit~ de l'affection. Le test de la sueur ne permet pas d'identifier individuelle- ment les sujets qui transmettent (h&~rozygotes) la mucoviscidose. Enfin, il faut de faqon pr~f~ren- tielle faire r~aliser cet examen dans un laboratoire qui en a une grande pratique car peu d'analyses exigent autant de soin et d'exp~rience. I1 existe des tests ,, faux positifs ,,. I1 peut s'agir de situations cliniques ou biologiques capables d'en- trainer de faqon permanente ou transitoire une ~l~vation du sel dans la sueur; le diagnostic en est g~n~ralement ais~ et il est recommand~ de faire le test de la sueur sur un enfant qui n'a pas d'0ed~- mes, dont le taux du chlore et de l 'albumine dans le sang sont normaux et si possible ne recevant aucun m~dicament. Mais, en pratique, la plupart des ,, faux positifs ,, le sont en raison d'erreurs techniques de dosage ou parce qu'on a fait le test sur une quantit~ insuffisante de sueur.

les progr s r 6 c e n t s

La mucoviscidose est l'exemple type de la maladie chronique d~butant d~s la petite enfance. La qua- lit~ du suivi m~dical et sa r~gularit~ conditionne le pronostic dont la r&ente amelioration dans notre pays comme ailleurs est un fait incontestable. C'est ~t l'~gard des infections chroniques ~t bacille pyocyanique que se sont faits les progr~s les plus d&erminants ~i l'aide de programmes th~rapeuti-

ques rigoureux. Cette antibioth~rapie ne doit pas J o u r n a l d e P I~D IATRIE e t d e P U I ~ R I C U L T U R E n ~ 4 - 1 9 8 8

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&re aveugle mais guid6e par les r6sultats de l'anti- biogramme fait sur le germe pr6dominant dans la flore d'expectoration profonde ; elle sera effi- cace et sfire, donc ~t fortes doses p6n&rant les bronches et avec des associations dans le but d'6vi-

i �9 ~- ! �9 ter l'apparition des resistances. L mconvement actuel -- qui peut disparaitre au fur et fi mesure des progr~s de l'industrie -- est dfi ~ la disponibilit6 actuelle de mol6cules umquement actives par voie parent6rale. Pour le sujet lui-m~me, la colonisation chronique ou la r6cidive des infections bronchi- ques n6cessite des cures antibiotiques r6p&itives,

~. ! �9 �9 i c'est l mconvement majeur, lnherant ~i la maladie, m~me si on discute encore du meilleur rythme de leur administration. Au plan digestif et nutritionnel, les m6decins parais- sent maintenant mieux arm6s, non seulement pour traiter mais surtout pour pr6venir tout &at de malnutrition chronique dans la mucoviscidose ou toute carence sp6cifique. La pr6conisation d'un r6gime proche de la normale, supprimant les exc~s de graisses (TCL) et pr6servant l'app6tit de fa~on

~t maintenir un apport calorique 61ev6 semble faire l'unanimit6. Des suppl6ments de vitamines liposo- lubes et d'acides gras essentiels (acide linol6ique) sont cependant imp6ratifs et fi administrer en per- manence. L'efficacit6 remarquable des nouveaux

t �9 t ! extraits pancreatlques dits << gastro-proteges ,, ne doit pas faire oublier cependant quelques observa- tions off les r6sultats apparaissent moins bons et pour lesquels le m6decin doit encore ajouter des alcalinisants, des stimulants de la s6cr&ion des aci- des biliaires...

Enfin, les axes de recherche tout ] fait r~cents orient& dans plusieurs directions sont obligatoi- res. La recherche du m6canisme de cette exocrino- pathie -- notamment en explorant les anomalies du canal chlore -- ou celle visant ~i expliquer la pathog6nie de l'affection (recherches g6n&iques, immunologiques) ne doit pas faire oublier les efforts de pr6vention faits grflce au d6pistage pr6natal actuel- lement et plus tard ~l la d&ection des h6t6rozygo- tes qui sont au nombre de 1/25 sujets en France.D

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