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MÉDÉE ANTIQUE ET MODERNE

ASPECTS RITUELS ET SOCIO-POLITIQUES D'UN MYTHE

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En couverture : "Médée méditant le meurtre de ses enfants". Fresque de Pompéi.

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ASSOCIATION DES PUBLICATIONS PRÈS LES UNIVERSITÉS DE STRASBOURG

DUARTE MIMOSO- RUIZ

MÉDÉE ANTIQUE ET MODERNE

ASPECTS RITUELS ET SOCIO-POLITIQUES D'UN MYTHE

Préface de Georges DUMÉZIL

Édition Ophrys 10, rue de Nesle

75006 Paris

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(c) by Association des Publications près les Universités de Strasbourg ISBN nu 2-7080-0505-7

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PRÉFACE

Les mythes de n'importe quelle société appellent des regards multiples : genèse, variations, signification, survivances, utilisations doivent être solidaire- ment examinées et, à ces examens, l'anthropologie sociale, la psychologie, toutes les formes d'histoire doivent apporter leurs moyens. Enfin, la comparaison, aussi bien typologique que génétique, ne doit cesser de parcourir en tous sens le champ d'étude, en quête de rencontres éclairantes. Cela est particulièrement vrai des my- thes grecs, pour lesquels le travail se charge vite, en outre, de valeurs esthétiques, affectives, prolongeant dans la science ce qui, il y a près de trois millénaires, dans la vie, a été le miracle grec. Chacun de ceux qui participent à cette entreprise, quels que soient son point de vue personnel et sa technique, ne peut donc que se réjouir quand un esprit bien fait et bien armé s'échappe des découpages tradition- nels et de ce qui devient si vite routine et préjugé, pour ouvrir de nouvelles ave- nues à l'exploration commune.

Il y a ainsi, dans le legs de la Grèce, quelques grandes figures, quelques gran- des intrigues qui fascinent l'esprit et qu'on sent porteuses des ressorts conscients ou inconscients de l'aventure humaine. Cet attrait ne signifie pas que toutes les questions qu'on a envie de leur poser sont susceptibles de réponse. Au contraire, la luxuriance de la mythologie grecque, le morcellement, l'anarchie d'une docu- mentation à la fois abondante et lacunaire, font qu'il est difficile de prendre un parti plausible, notamment, en matière d'origine. D'autre part, la complexité des personnages, et pour tout dire, d'un mot, qu'il s'agisse de héros ou de dieux, leur humanité profonde, découragent les simplifications qui, faites sans parti-pris, découvrent le sens, l'intention des récits, Médée est une de ces figures rayonnan- tes et énigmatiques. M. Mimoso-Ruiz a eu raison de ne pas discuter longuement les interprétations que les diverses écoles de mythographes ont accumulées, et de ne pas prendre comme objet principal d'étude la formation de la geste de Médée, encore qu'il présente sur ce domaine des suggestions pleines d'intérêt. Il a choisi un observatoire plus dégagé, avec un vaste et clair panorama : la Mé- dée d'après la Grèce, la Médée pensée et repensée, voire recréée, au cours du der- nier siècle, par l'imagination d'hommes de toutes nations, principalement à tra- vers les arts scéniques, du théâtre lyrique et dramatique au cinéma.

Il a étudié ces nouveaux usages des vieux thèmes en analysant les éléments des spectacles, les personnages d'abord, mais aussi la mise en scène, avec ses res- sources symboliques. Il a éclairé les intentions des auteurs, tantôt par l'ensemble de leurs oeuvres, tantôt par le milieu et le temps où ils ont pris leur inspiration. L'enquête se développe, ainsi, dans un cadre cosmopolite, presque universel, ex- trêmement vivant et plein d'enseignement importants. Plus qu'une étude de litté- rature comparée, c'est un morceau d'humanisme moderne, aux dimensions de

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notre époque, qu'a réalisé M. Mimoso-Ruiz : avec lui, nous assistons à la manifes- tation progressive des puissances contenues dès l'origine dans le thème. Qu'il soit permis à un mythographe engagé depuis un demi siècle sur d'autres voies de l'en remercier.

Paris, novembre 1980

Georges DUMEZIL

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PREMIÈRE PARTIE

MORPHOLOGIE ET FIGURES D'UN MYTHE

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I. LES SÉQUENCES DU MYTHE

"Tu n'es donc pas rassasié de tes tragédies (...), que négligeant la carrière de l'éloquence politique et judiciaire, tu consacres tout ton temps (...) à Médée ?" (1).

C'est en ces termes qu'Aper, l'un des maîtres de Tacite, reproche à Maternus, dans le Dialogue des Orateurs, l'attirance éprouvée par le poète pour le mythe de Mé- dée. Aux yeux d'Aper, le "mûthos" de l'héroïne antique, la création d'une nou- velle oeuvre retraçant une fois de plus son aventure, n'est qu'un passe-temps, de l'''otium'', très éloigné des préoccupations sérieuses.

La fascination ressentie par Maternus est un exemple particulier de l'impor- tance d'une figure mythique qui, depuis l'Antiquité, n'a pas cessé de hanter l'ima- gination des dramaturges et des artistes. Quoi de plus pathétique et de plus terri- ble que l'histoire de cette magicienne délaissée et meurtrière de ses enfants ? C'est bien l'image effrayante de l'infanticide que nous offrent, à travers des modes différents de représentation, les tragédies d'Euripide et de Sénèque, la célèbre fresque de Pompéi, et plus près de nous, les oeuvres de Corneille et de Cherubini, les tableaux de Delacroix et de Feuerbach.

Après la création euripidienne, les poètes ont essayé d'élucider à leur tour les raisons de ce geste, d'en percer l'énigme. Comme le dit P. Brunel :

"Né du mystère, le mythe tente pourtant de le dissiper, en faisant parler les dieux muets ou absents, en invoquant des causes, en proposant, en imposant même des réponses à la question" (2).

Grillparzer, le célèbre dramaturge autrichien du XIXe siècle, a précisément essayé, et d'une manière originale, de donner une clé pour expliquer l'infanticide, en remontant dans le temps mythique pour nous présenter la première trans- gression, celle d'Aétès, le père de Médée, qui assassine lâchement Phrixos, son hôte, pour s'emparer de la Toison d'or. La trilogie de Grillparzer, Das goldene Vliess (1818 - 1820), occupe une place à part dans l'histoire du mythe, com- parable, par la richesse de ses implications, aux tragédies d'Euripide et de Séné- que. Reprenant l'ensemble des séquences essentielles du "mûthos", le poète autrichien interprète le mythe à la lumière des auteurs et des commentaires de

(1) Tacite : Dialogue des Orateurs, III, 4. (2) P. Brunel : Le Mythe d'Electre, p. 8.

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l'Antiquité. Il nous présente une création originale qui confère au mythe une coloration particulière, en le situant dans un contexte barbare vraisemblable, assez éloigné des spéculations des auteurs qui l'ont précédé.

En revenant à la barbarie primitive, Gillparzer préfigure la volonté, affir- mée par les auteurs du XIXe siècle, d'un retour aux sources et annonce l'appro- che de certains auteurs contemporains fascinés par les origines sacrées du mythe. Si le "mûthos" est un "hierôs IÓgos", et si chaque siècle en a une vision particu- lière, l'orientation donnée à l'histoire de Médée, à partir du XIXe siècle, en vertu de références implicites aux découvertes archéologiques, aux ébauches anthropo- logiques initiées par les chercheurs de ce siècle (3), diffère des conventions du théâtre classique qui, certes, ne sont pas dénuées d'intérêt.

Toutefois, puisqu'il n'existe pas de version unique et authentique du my- the (4), nous nous intéresserons aux versions proposées par Corneille (1635) ou Klinger (1786), dont les oeuvres se présentent comme des intermédiaires privilé- giés dans l'élaboration du mythe littéraire et constituent le corpus des textes de référence.

Nous respecterons ainsi le caractère spécifique du mythe, des origines à nos jours. Nous nous attacherons alors aux différents aspects du mythe ancien reflétés dans le miroir tour à tour déformant ou fidèle des oeuvres du XIXe et XXe siècles.

Cette orientation nous amène à nous interroger tout d'abord sur la significa- tion du "mûthos" confronté à la notion de mythe littéraire (5). Si l'on assiste, dès l'Antiquité, à un passage significatif des traditions orales à des formes littéraires (6), et si le mythe est de l'ordre du "IÓgos" (7), il s'apparente alors à la littérature et nous présente des thèmes, des motifs et des personnages ou plutôt des figures (8). Il se présente aussi comme un ensemble de symboles (9), comme la représen- tation d'une situation exemplaire (10) et renferme des "puissances d'investisse- ment de la sensibilité" (11).

Toutefois, les catégories qui séparent légende, mythe et conte, semblent arbi- traires, si l'on veut définir l'histoire de la magicienne Médée, fille d'Aétès, roi de cette lointaine Colchide située en Asie, à l'est du Pont-Euxin et au sud du Cau- case, petite-fille d'Hélios et dont le nom est à rattacher à la "mêtis" et à la médita- tion (12) ; si l'on est tenté de rapporter l'aide que Médée accorde à Jason, dans la conquête de la Toison d'or, au domaine de la légende, certains épisodes situés à Iolcos ou à Corinthe, semblent se rattacher à la notion de mythe.

En ce sens, le mythe, tout en conservant un caractère spécifique et sacré, doit être pris dans une acception assez large et non restrictive. Si l'on consulte,

(3) Cf. H. L. Nostrand : Le Théâtre antique et à l'Antique en France de 1840 à 1900, I, p. 2.S. Fraisse : Péguy et le Monde antique, I, ch. III, p. 87.

(4) Cf. CI. Lévi-Strauss : Anthropologie structurale, p. 242. (5) Cf. P. Albouy : Mythes et My thologies dans la littérature française, p. 292. (6) J.P. Vernant : Mythe et Société en Grèce ancienne, p. 196 et suiv. (7) P. Brunel : Le Mythe de la Métamorphose, ch. I, p. 25. (8) Sur le rapport entre le motif et le mythe (élément et ensemble) du motif (concret) et

du thème (abstrait), cf. P. Brunel : o.c., p. 11. Sur la notion de schème, cf. G. Durand : Les structures anthropologiques de l'Imaginaire, Impartie, ch. II, p. 91.

(9) G. Durand : o.c., p. 54. (10) R. Trousson : Le Thème de Prométhée, T. I, p. II. (11) R. Caillois : Le Mythe et l'Homme, ch. I, p. 31. (12) Cf. Usener : Gotternamen, p. 163 ; H. Jeanmaire : La Naissance d'Athéna et la

Royauté magique de Zeus in Revue d'Archéologie, XLVIII, 1956, p. 35. Sur le problème du lien se manifestant dans la structure du monde mythique et dans celle du monde linguistique, cf. E. Cassirer : Langage et Mythe - A propos des Noms de Dieux, ch. IV, p. 61 et suiv.

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en effet, les thèmes du folklore universel consignés par A. Aarne et S. Thomp- son (13), on se trouve confronté aux mêmes thèmes, ceux de la princesse déten- trice d'un trésor gardé (14) par les bêtes maléfiques, de la mère ou de la sœur criminelle (15), existant aussi bien dans les contes et les légendes que dans les traditions orales et populaires.

Le mythe de Médée est, de fait, constitué d'un amalgame de récits, de lam- beaux d'épopées, de traditions diverses constituées à des époques différentes (16). Le mythe se présentant comme un récit symbolique complet, il serait intéressant de déterminer les "séquences-clé", selon la terminologie employée par N. Frye. Celles-ci forment un ensemble de cinq séquences ayant pour cadre différents lieux géographiques : la Colchide (I), Iolcos en Thessalie (II), Corinthe (III), Athènes (IV), et dans la dernière séquence, le retour de Médée en Colchide (V).

La coordination tardive de ces différentes séquences étant indépendante de la chronologie réelle dans la constitution du récit mythique (17), nous établi- rons l'articulation des divers épisodes grâce aux textes de Pindare, d'Euripide, d'Apollonius de Rhodes, de Diodore de Sicile et en tenant compte également des variantes apportées chez des auteurs comme Klinger (1786) et Grillparzer (1818 - 1820).

LES SEQUENCES-CLÉ DU MYTHE

Dans la première séquence qui se situe, dans la syntagmatique interne du "mûthos", au début, Médée intervient dans la quête du chef des Argonautes ; elle aide Jason à conquérir la Toison d'or, jadis offerte à Zeus par Phrixos qui avait fui avec sa sœur Hellé, loin d'Athamas, leur père, qui, sur les conseils perfides de leur belle-mère Ino, voulait les sacrifier à Zeus Laphystios(18).

Jason, élevé par le centaure Chiron (19) avait, en effet, réclamé le trône d'Iolcos à son oncle Pélias qui l'avait usurpé, après avoir destitué son frère (20) Eson, père de Jason. Pélias, pour évincer son neveu qu'il avait identifié après des

(13) A. Aarne - S. Thompson : The Types of the Folk Tale, A Classification an Biblio- graphy in F.F. Communications, vçl. XXV, II, A, n 577 : The King's tasks, p. 98 ; II, n° 300 : The Drggon-Slayer, p. 45 ; II, B, n 765 : The Mother who wants to kill her children, p. 121 ; II, B, n 781, The Princess who murdered her child, p. 122.

(14) Cf. R. Crahay : L'Eau de la Vie - La Méthode mythographique des Frères Grimm in Mémoires et Publications de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du Hainaut, vol. LXXVII, 1963, p. 145.

(15) On retrouve le thème de la soeur criminelle dans la littérature orale actuelle du Nord- Est brésilien ; cf. "a Moça que cortou o Irmâo em Cocâo : outro Caso em Jacuipe in Colecçâo de Textos da lingua portuguesa moderna Literatura popular em Verso, Catalogo, T. I, n 214, p. 73.

(16) Nous reprenons, ici. notre étude présentée, sous une forme légèrement différente, au Colloque du Collège européen à Loches ; Bulletin, juil. 1973.

(17) K. Robert, dans Griechische Heldensage, A, p. 185 et suiv., affirme que Médée était une divinité propre à Corinthe qui fut mise par la suite en relation avec l'épopée des Argo- nautes.

(18) Cf. Hérodote : Histoires, livre VII, 197, et Hygin : Fabulae, "Ino", p. 2. (19) Pindare : Pythique IV, v. 183 - 184 et Néméénne III, v. 92 - 93. (20) Selon Homère (Odyssée, chant XI, 256 et suiv) et Apollodore (Bibliotheca, 1, 9 -

27) Pélias est le roi légitime d'Iolcos. Au contraire chez Hésiode : Theogonie, v. 996 et suiv. et Pindare : Pythique IV, v. 193 - 196, Pélias est un tyran terrible et orgueilleux, insolent furieux et brutal.

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prédictions, grâce à l'unique sandale (21), avait invoqué le fantôme de Phrixos disparu en Colchide de mort naturelle ou assassiné par Aétès (22), dont l'âme était venue le tourmenter car son corps n'avait pas été enseveli selon les rites grecs. Pélias affirmait la nécessité de reconquérir la Toison d'or (23).

(I) Cette conquête, effectuée grâce aux Argonautes, après une longue et périlleuse traversée à bord de l'Argo (24), trouve son achèvement dans le épreuves imposées par Aétès (25). Médée, qui selon certaines versions veut sacrifier ou em- poisonner (26) Jason, charmée par Eros et Aphrodite (27), vient en aide au héros au cours des épreuves qualifiantes ; Jason doit :

- affronter et conduire sous le joug des taureaux au souffle de feu. - ensemencer le champ d'Arès, d'où devaient naître des géants armés (les

"gegeneîs"). Médée est intervenue en donnant à l'Argonaute un onguent magique contre

les brûlures des taureaux (28), en conseillant à Jason de lancer la pierre de discor-

(21) Pindare : o. c., IV, v. 133. Selon Apollodore (o.c., I, 9, 11), Jason perd sa sandale en traversant le fleuve Anauros, pour se rendre au sacrifice solennel en l'honneur de Poséidon. Cette perte de la sandale est humoristiquement comparée à celle de Cendrillon et Esmeralda dans le Dictionnaire de la Conversation et de la Lecture. T. XXXIII, article "Jason" de Denne- Baron, p. 334, col. a.

(22) Hygin : o.c., III, version suivie par Grillparzer dans Der Gastfreund p. 36 et par W. Morris dans The Life and Death of Jason, livre II, p. 34. Une tradition attestait, en effet, la bonne entente entre Aétès et Phrixos qui épousait Chalciopé la soeur de Médée ; au contraire, Aétès devait tuer Phrixos car un oracle avait prédit que le roi des Colchidiens mourrait de la main d'un descendant d'Eole. Le mobile du crime est aussi la Toison.

Jason comme Phrixos sont, en effet, des descendants d'Eole.

Tableau généaologique d'après les tableaux n 8, p. 122, 21, p. 33, 242 et 392. Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine de P. Grimal.

(23) Pindare : Phythique, IV, v. 284 - 285. (24) Cf. Apollonius de Rhodes : Argonautica, livre I et II. Cf. sur l'Argo et ses pilotes,

M. Detienne : Le Navire d'A théna in Revue de l'Histoire des Religions, T. CLXX-2, p. 172. C'est avant l'arrivée en Colchide que se situe l'épisode de Lemnos et les amours d'Hypsipyle et de Jason qui préparent, en un sens, l'aventure de Médée et de Jason ; Apollonius de Rhodes, o.c., livre 1, v. 850 — 909. Sur le voyage au pays du soleil, cf. A. Lesky : Aia in Wiener Studien, LXIII, 1948 en particulier p. 40 et suiv. Cf. également, Fr. Wehrli : Die Ruckfakrt der Argo- nauten in Museum helveticum, XII, 1955, p. 154 — 157.

(25) Cf. Karkinos : Naupactica, fragments 5 - 9, dans les scholies aux v. 521 et 523 du livre III d'Apollonius de Rhodes ; Cf. également la note de F. Vian, éd. du chant III des Argonautiques, v. 521. Apollonius de Rhodes : o.c., III, v. 407 - 421 ; 1 288 - 1 407 ; Apollo- dore : o.c., 1,9,23; Hygin : o.c., 22, p. 8 ; Valerius Flaccus : Argonautica, livre VII, v. 62-77 ; cf. également, R. Bacon : The Voyage of the A rgonauts, ch. VI, p. 67 et suiv.

(26) Dracontius : Médée, v. 179 - 181. Chez Grillparzer (Die Argonauten, acte II, v. 897 et suiv. p. 96), Médée, sur l'ordre de son père, veut tout d'abord empoisonner Jason.

(27) Sur le rôle d'Aphrodite (Pindare : o.c., IV, 214 et suiv.) et du "Íúnx", cf. Apollonius de Rhodes : o.c., III, v. 8 - 1 53 et Euripide : Médée, v. 527-528.

(28) Apollonius de Rhodes : o.c., III, v. 845-866.

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de contre les géants bardés de fer (29), en l'aidant de ses incantations magiques (30) et en lui donnant une herbe capable d'endormir le dragon (31).

A la fin de cette séquence, Médée, pour protéger la fuite des Argonautes, provoque la mort d'Absyrte. Ce dernier meurt accidentellement (32), soit qu'il se trouve entraîné dans un guet-apens ourdi par Médée où il périt sous les coups de Jason (33), soit qu'il succombe tué par Médée qui disperse les morceaux de cadavre de son frère (34). Jason épouse alors, dans certaines versions, Médée (35).

C'est dans la première séquence que se situe le retour des Argonautes, com- posé d'aventures multiples (36), où Médée n'intervient que pour détruire le géant Talos (37), à la suite du meurtre d'Absyrte, et dans la purification opérée par Cir- cé (38). (II) La deuxième séquence-clé du mythe se situe à lolcos, en Thessalie ; Jason accompagné de Médée revient dans sa patrie porter la Toison d'or à Pélias (fin de la séquence de l'expédition des Argonautes).

Deux traditions divergentes se présentent : Jason et Médée vivent à Iolcos en bons termes avec Pélias. Médée rajeunit Eson, le vieux père de l'Argonaute (39), Jason lui-même (40), et les Hyades, nourrices de Dionysos (41). A la mort de Pélias, les héros célèbrent des jeux funèbres (42).

A cette tradition, s'oppose la deuxième tradition, la version maléfique des faits, et de loin la plus riche (43). Pélias a usurpé le trône d'Iolcos et a contribué à la disparition des parents de Jason (44). Médée aide alors Jason à se venger : elle métamorphose un vieux bélier, en lui rendant sa jeunesse, après l'avoir mor-

(29) Apollonius de Rhodes : o.c., III, v. 1363 et suiv. Valerius Flaccus : o.c., VII, v. 632— 633 ; Hygin : o.c., 22, p. 8.

(30) Ovide : Métamorphoses VII, v. 137-138. (3 1) Pindare : o.c., IV, v. 224 et suiv., Apollonius de Rhodes : o.c., III, v. 407-421 et IV,

v. 123-161 ; Ovide : o.c., VII, v. 149-155. Cf. au contraire, Euripide : Médée, "dràkonta kteÍnasa", v. 480-482.

(32) Grillparzer : Die Argonauten, acte IV, p. 159. (33) Apollonius de Rhodes : o.c., IV, v. 411 et suiv. (34) Apoiiodore : o.c., 1, 9, 24, 1, Ciceron : LJe lmperio cn. Pompei, IX, 22, récit d'après

la Médée d'Accius citée dans De Natura Deorum, 3, 26, 67 ; Ovide : Tristes, III, 9, 26-34 ; Heroide, VI, 129 et suiv. et Héroïde, XII, 113 et suiv., Sénèque : Médée, "sparsum ponto cor- pus", v. 133. Cf. également, Paulys : Real-Encyclopàdie der klassischen Altertumswissenschaft, articles "Medeia" et "Absyrtus", vol. VI, p. 36, vol. II, p. 285. Apollonius de Rhodes affirme

. que certains Colchidiens, arrêtés par Hera, tandis qu'ils poursuivaient Jason et Médée, fondèrent après la mort d'Absyrte des cités et prirent un nom dérivé de celui du prince : "Apsurteis" ; cf. à ce propos, Apollonius de Rhodes, Argonautica, livre IV, v. 513 et suiv.

L'origine de la ville de Tomes est liée également à la mort d'Absyrte (Apollodore : o.c., I, 9, 24). Selon Hygin, c'est à Minerva qu'Absyrte est tué par Jason (o.c., 23).

(35) Cf. Apollonius de Rhodes : o.c., IV, v. 1130 et suiv. Cf. aussi F. Jouan : Euripide et les Légendes des Chants cypriens, ch. II, p. 71 et n. 1.

(36) Cf. Apollonius de Rhodes : o.c., IV, passim. (37) Ibid., v. 1653 et suiv. ; Apollodore : o.c., I, 9, 26. (38) Apollonius de Rhodes : o.c., IV, v. 699 et suiv. ; Apollodore : o.c., I, 9, 24. (39) Nostoi, fragments 6 in Kinkel : Epicorum graecorum Fragmenta, p. 55 ; Ovide : Métamorphosés, Vil, 162 et suiv. (40) D'après Pherecyde et Simonide, fragment 6 des Nostoi in Kinkel : o.c., p. 55. (41) Eschyle . Les Nourrices de Dionysos, fragment 50 in Nauck : Tragicorum graeco-

rum Fragmenta, p. 1 8. Ovide : o.c., VII, v. 294 - 296 ; Hygin : o.c., 182. (42) Pausanias : Descriptio Graeciae, V, 17, 9. (43) Cf. E. Simon : Die Typen der Medeadarstellung in der antiken Kunst in Gymna-

sium, LXI, 1954, p. 203 et suiv. Cf. également, Ch. Dugas : Le Premier Crime de Médée in Revue des Etudes anciennes, XLVI, 1944, p.

(44) Apollodore : o.c., I, 9, 27 ; Diodore : Bibliotheca historica, IV, 50.

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celé (45) et fait bouillir dans un chaudron. Elle conseille aux Péliades d'agir de même avec leur vieux père (46). Après la mort horrible du tyran d'Iolcos, Jason et Médée sont bannis du pays par le fils de Pélias, Acastos (47).

(III) La troisième séquence, l'une des plus célèbres du mythe, situe Médée et Jason à Corinthe. La séquence corinthienne se présente, à nouveau, comme un amalgame de traditions dont Pausanias nous offre les différentes versions (48).

Médée, reine du pays (49), mariée à Sisyphos ou à Jason avait délivré Corin- the de la famine (50). Elle était également adorée comme une divinité à l'Acroco- rinthe ou associée à Héra Akraïa (51). Ayant repoussé l'amour de Zeus, Héra avait promis l'immortalité aux enfants de Médée connus essentiellement sous les noms de Merméros et Phérès (52). Médée devait enfouir les enfants dans le sol du Temple ("katakrúptein") ; au cours de cette cérémonie d'immortalisation les en- fants meurent (53).

(45) Sur ce "diasparagmôs" avec coction qui s'oppose au "diasparagmôs" à cru, cf. G. Susong : La Politique d Orphée, II, p. 138 - 139.

(46) Apollodore : o.c., I, 9, 27 ; Ovide : o.c., VII, 297 et suiv. ; Pausanias : o.c., VIII, 11, 2 et 3.

(47) Apollodore : o.c., I. 9, 27 ; Selon Diodore : o.c., IV, 53 et Hygin : o.c., 24, Jason et Médée donnent le trône de Colchide à Acastos.

(48) Pausanias : o.c., II, 3, 6 — 9 et 11. Cf. L. Séchan : La légende de Médée in Revue des Etudes grecques, T. XL, 1927, p. 264 - 265.

(49) Pindare : Olympique, XIII, 52 et suiv. ; Eumelos, fr. 3 ; Kinkel : c.c., p. 189; Euri- pide : Médée, scholie du v. 9, 1 - 6 — 7, p. 8, d'après Eumelos, frag. 2 — 3. Nous assistons ici à une confusion entre Médée, divinité chthonienne honorée à Corinthe et la Médée thessa- lienne liée aux Argonautes. Médée s'insère ainsi dans la dynastie de Corinthe, la légendaire Ephyra, d'après Eumelos. Elle obtient le pouvoir de Corinthe à la mort de Corinthos, selon le tableau généalogique ci-dessous :

Tableau de G. Roux : Pausanias en Corinthie, p. 124 — 125. (50) Pindare : o.c., XIII, scholie du v. 74 ; cf. Kinkel : o.c., p. 189, n. 1 ; Euripide : Mé-

dée, scholie du v. 11. (51) Euripide : o.c., scholie du v. 1379. (52) Diodore de Sicile : o.c., IV, 54 se réfère à trois fils de Médée nommés : Thessalos,

Alkiménès et Tisandros. (53) Pausanias : o.c., II, 3, 11 citant Eumelos, frag. 3 ; cf. Kinkel : o.c., p. 189. Cette pra-

tique d'immortalisation avortée est comparable également à celle de Thétis à l'égard de Démo-

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Une autre tradition rendait responsables les Corinthiens de la mort des en- fants tués dans le temple. Une terrible maladie s'était abattue sur le pays, et en expiation, on institua un rite : quatorze enfants, sept garçons et sept filles (54), passaient une année dans le temple, vêtus de deuil pour célébrer le culte expia- toire (55). Sur le tombeau des enfants on dressa la statue de l'Epouvante (56).

C'est autour de la mort des enfants que se cristallise l'image de l'étrangère et de l'épouse trahie et jalouse, abandonnée par Jason pour l'amour de Thétis ou de Glauké, "Kreonteia" (57), fille du tyran de Corinthe, Créon, et exilée par ce dernier. Pour se venger, Médée envoie une tunique empoisonnée à sa rivale qui se jette dans une fontaine (III) (58). La mort des enfants tués par les Corinthiens est alors présentée comme la conséquence de ce geste, et les habitants de Corinthe imputèrent ce crime à Médée (59).

Enfin, dans la tradition euripidienne (60), c'est Médée elle-même qui devient infanticide, et s'enfuit grâce au char d'Hélios. (IV) A la fin de cette séquence, tandis que Médée s'est enfuie de Corinthe, se situent diverses légendes, en particulier la guérison de la folie d'Héraklès (61) à Thèbes (IV).

Acquittée de ses crimes passés (62), Médée se réfugie à Athènes chez le roi Egée qui devient son époux. Lorsque Thésée revient de Trézène, Médée essaie d'empoisonner le héros (63) ou de lui faire affronter le taureau de Marathon (64). La magicienne est alors chassée d'Athènes.

(V) Médée se rend alors soit à Ephyra (65) en Elide, soit en Colchide où elle retourne accompagnée d'un fils dont le père est Jason (66) ou Egée (67), ou un prince d'Asie (68). Médée restitue le trône de Colchide à son père Aétès, et elle contribue, avec l'aide de Médos ou de Jason lui-même, à la reconquête de con- trées (69) appartenant au royaume colchidien qui deviendra l'empire des Mèdes (70).

phon ou d'Achille, cf. F. Jouan : o.c., ch. II, p. 90. Dans les Naupaktia, frag. 10, Merméros était mis en pièces par une lionne au cours d'une chasse. Pausanias : o.c., II, 3, 9 et Euripide : o.c., scholie du v. 9.

(54) Cf. sur ce chiffre orchestique, L. Gernet : Le Génie grec, ch. II, p. 82 ; cf. aussi M. Delcourt : Images de Grèce, ch. IX, p. 110.

(55) Euripide : o.c., scholies des v. 264 et 1379 ; cf. Kinkel : o.c., p. 201. (56) Pausanias : o.c., II, 3, 7 ; cf. E. Will : Korinthiaka, ch. II, p. 88 et suiv. et A. Bre-

lich : Gli Eroi greci, ch. II, p. 85. (5 7) Apollodore : o.c., I, 9, 28 ; Diodore : o.c., IV, 54. (58) D'après Didyme, scholie du v. 273 de la Médée d'Euripide ; Apollodore : o.c., I.

9, 28. (59) Euripide s'était peut-être inspiré de la Médée de Néophron. (60) Sur la possibilité d'un rite autour de la fontaine de Glauké, cf. E. Will : o.c., p. 91. (61) Diodore : o.c., IV, 55. (62) Ibid., 55. Dans la Medea de Grillparzer, l'héroïne affirme qu'elle se rendra à Delphes

pour restituer la Toison d'or ei. demander son pardon aux prêtres (acte V, v. 2353 - 2354, p. 300).

(63) Plutarque : Thésée, 12, 3 - 5. (64) Apollodore : o.c., I, 5. (65) Iliade, XI, scholie du v. 741. (66) Son nom est Polyxène. (67) Nommé Médos. Diodore : o.c., IV, 55 ; Pausanias : o.c., II, 3, 8. (68) Diodore : o.c., IV, 55. (69) Tacite : Annales, VI, 34. (70) Hérodote : o.c., VII, 62 ; Strabon : o.c., XI, ch. XIII, § 10. Après le suicide de

Jason, mort de chagrin (Diodore : o.c., IV, 55), ou écrasé par le vaisseau Argo (Argument

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De ces différentes séquences mythiques, seule la séquence se référant à la conquête de la Toison d'or et la séquence de l'infanticide à Corinthe ont connu un développement ultérieur très important dans le mythe littéraire. Ces deux séquences proposent une suite significative de tensions, d'oppositions, de forces contraires.

de la Médée d'Euripide et vers interpolé 1387), selon certaines versions, Médée, devenue immor- telle, épouse Achille dans l'île de Leucé ou dans la plaine élyséenne (Apollonius de Rhodes : Argonautica, IV, 611 — 815). -

Généalogie de Médée :

Cf., d'après P. Grimal : Dictionnaire de la Mythologie grecque et romaine, n° 14, p. 184. Médée est aussi la fille d'Hécate selon Diodore : o.c., IV, 45.

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II. LES MODALITÉS DU MYTHE DE MÉDÉE

Pour synthétiser tous ces, schèmes qui apparaissent dans les différentes sé- quences, nous dirons que la Iere séquence fait intervenir l'adjuvant de la magie dans le récit de conquête de la Toison d'or puis le fratricide (Absyrte).

La IIe séquence à Iolcos opère un retournement quant à l'adjuvant magi- que puisque celui-ci est tantôt bénéfique (rajeunissement d'Eson), tantôt un leurre maléfique (mort de Pélias).

La IIIe séquence, selon la version la plus accréditée, nous offre une réité- ration des séquences précédentes puisque nous sommes confrontés à un adju- vant magique maléfique (mort de Créuse et de Créon), à un infanticide (meur- tre de Merméros et de Phérès perpétré par Médée) avec un élément supplémen- taire : l'élimination de la rivale (Créuse).

De même dans les IVe et Vè séquences nous assistons à un retour aux schè- mes de la 1ère, IIe et IIIe séquences : magie bénéfique de Médée à l'égard d'Hera- klès, élimination ou tentative d'élimination par les drogues du rival Thésée pour accéder au pouvoir (IV), reconquête du trône en Colchide en faveur d'Aétès (V).

Dans une première approche nous pouvons donc opérer une synthèse de ces données en dressant le tableau suivant :

D'autre part, les récits qui constituent la trame narrative se réfèrent soit à des traditions associées à une localité particulière, soit à des récits légendaires rat- tachés à de grandes navigations maritimes : ainsi le noyau corinthien s'est trouvé greffé sur la narration de la quête d'un trésor situé dans des régions lointaines et considérées comme des contrées exotiques et dangereuses. Le mythe de Médée pose donc le problème des amalgames et de leur fonctionnement : ces noyaux de récits, qui s'imbriquent dans la suite des âges de manière plus ou moins cohérente — phénomène attesté dans les différentes variantes - deviennent expression tota-

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lisante de l'expérience humaine. Le mythe de Médée relève, alors, de l'étiologie, en particulier, dans la narration du voyage des Argonautes, où certains noms de lieux font l'objet chez des poètes comme Ovide de commentaires et de notations mul- tiples expliquant la présence de Médée dans certaines cités (rapport nominal de Tomes et de "témnein", par exemple, à propos d'Absyrte) (71).

La quête argonautique est un élément déterminant pour la geste de la Colchidienne, car il fait intervenir un modèle présenté avec insistance à travers le mythe : ce modèle renvoie au problème de la place de l'adjuvant au sein d'un récit de conquête et de la tension créée par l'élimination de ce dernier (72) ; Médée, qui apporte son aide à Jason dans la possession de la Toison d'or au cours des trois épreuves imposées à l'Argonaute, à la suite du contrat passé entre Jason et Pélias et du contrat entre la Colchidienne et l'Argonaute, rejoint, dans ce récit, l'adjuvant — objet qu'est l'Argo. Nous voyons qu'il existe entre eux des corres- pondances dénotées aussi bien par les poètes de l'Antiquité, que par les auteurs modernes : Argo, d'une part, énonce des prophéties et guide dans leur voyage les Argonautes comme Médée qui profère des oracles de "sa bouche immortelle", selon Pindare (73) et qui donne des conseils dans la traversée de retour (74). La recherche par Jason d'une installation dans le pouvoir et les honneurs après la conquête, suppose l'élimination des deux adjuvants ; Argo est consacré dans certains récits antiques à Poséidon et Médée est abandonnée par Jason. Argo et Médée sont liés, une dernière fois, à Corinthe, à travers les prédictions de la Colchidienne : Argo est l'instrument de la mort qui parachève l'oeuvre de destruc- tion entreprise par Médée contre l'Argonaute.

La richesse du mythe est due à une cristallisation, qui s'opère, non seulement autour du personnage central de la Colchidienne, mais aussi autour des relations, qui s'élaborent entre la magicienne et les autres figures masculines ou féminines qui interviennent dans le récit. Nous assistons, de ce fait, à des redondances, trait propre à tout mythe et noté par E. Leach (75). Si Médée change de statut à Corinthe pour devenir sujet, en possédant, elle-même, un objet adjuvant sous la forme du char d'Hélios, elle redevient par la suite l'adjuvante d'Egée et d'Heraklès. Son rôle d'installatrice dans la quête de Jason est, de même, réaffirmé dans sa fonc- tion bienfaisante auprès d'Aétés, puisqu'elle aide le roi de Colchide, dans certaines versions, à reconquérir son trône (76). Ce phénomène de la réitération est en liai- son avec le fonctionnement de la pensée mythique, qui procède par analogies et s'exprime à travers les formes de la métaphore et de la métonymie (77). Un lien d'équivalence se crée entre tous les thèmes véhiculés par le discours mythique. Les analogies présentées, par exemple, dans les meurtres perpétrés par Médée sur les personnes de son frère Absyrte et de Pélias, posent le problème de la mort à la suite d'un morcellement, de l'unité défaite et recomposée et sont à l'image du mythe lui-même, véritable atomisation de différents éléments, dont le sens se dé- truit et se reconstruit. Ces images renvoient, aussi, à la question du passage dans l'au-delà et d'une magie qui permet l'accès à un univers autre, au monde de la métamorphose. Ce problème de la magie nous oblige à reconsidérer analogique- ment la séquence d'Aeson, où la mort apparente s'accompagne d'une résurrection

(71) Ovide : Tristes, livre III, v. 9. (72) A. J. Greimas : Du Sens, p. 209 et suiv. (73) Pindare : Pythique IV, v. 17 - 20. (74) Episode de Talos (Apollonius de Rhodes : Argonautica, IV, v. 1654 et suiv.) (75) F. R. Leach : La genèse comme Mythe in Langages, n 21, juin 1971, p. 14. (76) Cf. supra, les séquences du mythe, p. 15. (77) Cf. M. Godelier : Mythe et Histoire in Annales mai-août 1971, p. 544.

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effective grâce aux connaissances de Médée et qui s'oppose à la disparition de Pélias (78). Ce constraste. renvoie lui-même à une opposition éthique, qui sous- tend le discours mythique, entre une bonne et une mauvaise pratique de la magie, et à l'antithèse entre les destinataires de cette magie, le bon ou le mauvais roi, le prince innocent et martyr.

L'infanticide nous conduit, de même, à un autre ensemble d'analogies, sur- tout si nous collationnons les différentes versions de ce meurtre : tantôt pratique d'immortalisation avortée comme celle de Déméter, tantôt souvenir déformé de sacrifices d'enfants en l'honneur de divinités, tantôt crime passionnel, cet acte plurivalent a été cause de la "malsonnante rumeur" qui entoure le nom de Médée depuis l'antiquité.

D'autre part, si nous rapprochons le geste meurtrier de Médée de celui d'Ino, les analogies et les contrastes d'une séquence et d'une tradition mythique à l'autre, d'une figure légendaire à l'autre, apparaissent alors avec plus de relief.

Si Ino devenue démente, veut tuer Phrixos et Hellé ou assassine ses propres enfants (79), Médée essaie d'empoisonner Thésée et tue ses fils à Corinthe.

Son action est également comparable à celle de Pélias et à celle de son père Aétès. Le parallélisme et les oppositions s'intègrent alors dans deux schèmes, ceux des relations familiales et des relations d'hospitalité normales ou perverties. Ces deux catégories sont intimement liées dans le mythe de Médée, car les parents sont aussi, très souvent, des hôtes.

Un deuxième aspect qui apparaît à la lumière de ces différentes séquences est le caractère récurrent du lien qui unit et oppose à la fois Médée à Jason et aux parents mâles de Jason (Eson, Pélias, Créon), et l'affrontement de Médée contre l'autorité des tyrans (Créon, Egée). La solution de ces relations tendues est marquée par la séquence de la fuite ; celle-ci apparaît à plusieurs reprises : fuite de Phrixos et d'Hellé, de Médée avec Jason en Colchide, après la mort d' Absyrte; et à Iolcos après l'assassinat de Pélias ; fuite de Médée seule sur le char d'Hélios, après le meurtre des enfants. Cette séquence de la fuite fait suite, souvent, au "diaspara- gmôs", à l'image de la séparation et de l'éclatement de l'unité. La magie bénéfique et maléfique de Médée est doublement mise en rapport à la fois avec les relations d'hospitalité, de parenté et avec les épreuves de Jason et de Thésée, qui affrontent les monstres mythiques. Pour expliciter ces données et souligner les parallélismes et les renversements qui apparaissent dans le mythe nous dresserons un tableau qui se présente non comme une imitation de la méthode de lecture des mythes opérée par C. Levi-Strauss (80) mais comme une simple récapitulation des séries oppositionnelles dans certaines séquences mythiques que nous avons privilégiées en raison de leur structure analogique.

Nous verrons ainsi que la Ve séquence, au cours de laquelle Médée réinstalle Aétès dans son royaume et réinstaure des relations familiales normales, est en op- position radicale avec la là-re séquence où Médée trahit son père Aétès. Le mythe annule la tension préalable et toute l'action antérieure de la magicienne.

Le caractère rituel et initiatique apparaîtra, également, dans cette lecture du tableau, à travers la répétition de certains éléments comme la fuite et la magie liées au "diasparagmôs" à cru ou avec coction, et dans le rôle d'initiatrice de Médée à l'égard de jeunes héros comme Jason et Thésée. Enfin l'élément socio-politique,

(78) Sur le caractère initiatique de ces éléments, cf. infra, p. 84. (79) Euripide faisait le rapprochement entre Médée et Ino au v. 1285. (80) Cf. pour le mythe d'Oedipe, C. Lévi-Strauss : Anthropologie structurale, p. 236 et suiv.

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l'acceptation ou non de l'étrangère, de l'autre (relations d'hospitalité), éclairent dèjà un autre axe majeur dans l'étude du mythe.

La relation existant entre la Colchidienne et Jason semble être le paradigme d'une histoire charnière entre deux cycles : l'un essentiellement chthonien où la conscience religieuse représente la terre comme un abîme lié à la nuit et à la fécondité, image qui renvoie au matriarcat asiatique ; l'autre où le principe mas-

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culin prédomine, cycle appartenant au monde mycénien et achéen (81). Médée représente ce principe des puissances occultes et nocturnes. Médée exerce un pouvoir particulier sur une nature située au delà de l'espace fermé de la cité, dans les montagnes et les espaces boisés qui sont, par définition, les lieux du mystère.

La magicienne est la détentrice de la Toison d'or, "âgalma" (82) symbolisant à la fois la richesse agraire, la fécondité et l'autorité royale avec la présence de l'or ou de la couleur pourpre souvent attribuée à la Toison. Le dragon qui défend le trésor est bien une émanation de ces puissances chthoniennes, dont Médée détient les secrets. Face à Jason, à la recherche de l'hégémonie royale et de l'instauration d'un ordre, Médée est l'image du chaos et des forces maléfiques. Lorsque Médée se montre l'alliée de Jason (et encore est-ce malgré elle, vaincue par un charme que les poètes expliqueront par la toute-puissance d'Eros) ses bienfaits se manifes- tent en faisant intervenir la discorde, par exemple dans les travaux de Jason, avec la pierre lancée au milieu des géants armés, nés des dents du dragon.

Cette référence à la terre avec la naissance des "gegeneîs" trouve une équiva- lence dans le "katakrúptein" à Corinthe (séquence III) où les enfants de Médée sont ensevelis dans la terre et meurent. Nous avons là une représentation de la Terre sous un aspect maléfique puisqu'elle ouvre la voie à la monstruosité ou à des éléments inachevés, avortés. La terre colchidienne labourée par Jason est le champ d'Arès, un élément qui renvoie à la guerre et qui s'oppose, dans la vision des Grecs, à l'espace de Déméter, au bon labour. Or, c'est précisément sur cet élément sauvage non contrôlé, sur cette "húbris" incarnée par les géants, que Médée exerce sa domination par son savoir.

Cette supériorité de Médée, affirmée dans une sphère d'activité réservée à l'homme (le champ d'Arès, le pouvoir royal) renvoie à l'image mythique d'Héra qui, elle aussi, est tentée de marquer sa souveraineté sur Zeus lui-même. Ce carac- tère dangereux de cette aspiration au pouvoir absolu de la part de la femme a dû jouer un rôle non négligeable dans la figuration de Médée sous des traits malé- fiques.

La domination de Médée face à l'univers de l'homme s'affirme, aussi, à la fois, dans le "katakrúptein" corinthien où la magicienne tente de mettre au monde une nouvelle fois ses enfants, de les immortaliser, de les recréer en quelque sorte, image où se profile la tentation de faire "l'économie de la semence masculine" (83), et dans la manipulation du chaudron.

En effet, la femme, dans le monde archaïque grec, n'a pas accès au chaudron et aux broches, car c'est là une activité sacrificielle réservée aux hommes. Médée s'octroie ce droit dans la séquence d'Eson et de Pélias et elle est, alors, de ce fait, responsable d'un excès maléfique. Le caractère sacrificiel apparaît à plusieurs re- prises : Si l'on examine l'ensemble formé par les séquences colchidiennes et corinthiennes, on remarque la similitude de la fin de ces séquences qui s'achèvent par la mort d'Absyrte et celle des enfants.

Ces sacrifices sont semblables au sacrifice primordial du bélier de Phrixos et au geste meurtrier d'Athamas qui veut sacrifier ses enfants. Le caractère perverti du double sacrifice opéré par Médée apparaît alors : si Athamas veut immoler à Zeus son fils Phrixos et si ce dernier sacrifie le bélier dans les règles, Médée sacrifie ses victimes à son ressentiment. Cette modalité du sacrifice explique le caractère

(81) Cf. E. de Soveral : Jasao e Medeia, p. 12. (82) Objet précieux, objet d'offrande. (83) M. Détienne in L Autre Scène ou les Vivants et les Dieux, France Culture, le 14 fé-

vrier 1977.

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maléfique et "barbare" qui accompagne le geste de la magicienne depuis les ori- gines.

D'autre part, chaque fois que Médée s'enfuit, chaque passage de la magi- cienne d'un pays à un autre, par mer (avec la nef Argo), ou dans les airs, avec le char du Soleil, chaque fois qu'elle passe d'un statut à un autre - de princesse, elle devient une "étrangère" ou une exilée — Médée accomplit un meurtre symbolique. Cette notion de "passage" indiquerait bien non seulement que nous nous trouve- rions en présence d'un mythe sotériologique mais aussi face à un rapport privi- légié de Médée avec le monde de l'errance. Médée est une figure venue d'un "ail- leurs" inquiétant.

Le mythe, qui manifeste une bipolarité essentielle, nous renvoie, ainsi, à des séries oppositionnelles : homme — femme ; barbare — civilisé ; autochtonie — non autochtonie. Si le mythe de Médée nous propose, parfois, des médiations entre ces oppositions, par exemple, à travers le personnage d'Egée, qui permet de régler momentanément l'opposition barbare — civilisé et le problème de la non-autoch- tonie de Médée à Corinthe, lorsqu'il accepte de recevoir l'étrangère à Athènes, les séries oppositionnelles sont la plupart du temps soulignées par Médée, qui ren- force la séparation et le cloisonnement. Ces différentes catégories ne peuvent trouver de solution que dans une tension extrême qui s'achève dans la mort. Les médiations possibles rejetées symboliquement par le mythe sont peut-être l'indice du caractère profondément hétérogène de ce personnage mythique. Par là, Médée se situe sur un plan d'antinomies, qui rejoint les actes des personnages monstrueux ne se trouvant ni dans la catégorie des humains, ni dans celle des dieux, et dont l'action est présentée comme néfaste et destructrice. Or, c'est précisément cette "atypie" et cette hétérogénéité primordiale qui ont permis l'élaboration d'un paradigme, qui n'a cessé de fasciner les auteurs et les artistes jusqu'à nos jours.

Médée, qui se laisse malaisément réduire à une formule unique, se crée, au contraire, à partir de la pluralité des variantes et des combinatoires possibles. Ces différentes variantes, à partir d'un noyau central, nous amènent à nous interroger sur le statut du mythe de Médée dans la littérature et les arts jusqu'au XXe siècle et sur le fonctionnement du modèle mythique à des époques données. Ces ques- tions présupposent l'inscription des oeuvres dans un rapport dialectique, face au texte référentiel déjà codifié. La spécificité du mythe de Médée permettra aux auteurs contemporains, en particulier, de dégager certaines fonctions privilégiées. L'auteur moderne, dans sa reproduction du modèle mythique, opère selon deux processus complémentaires ; nous assistons, tout d'abord, au phénomène de dépla- cement : l'auteur défait l'histoire mythique, les séquences narratives, et procède par réduction de certains éléments. Au contraire, l'auteur peut se livrer à une syn- thèse nouvelle en opérant un transfert de signification : les multiples éléments appartenant aux séquences du mythe antique sont refondues dans un ensemble nouveau où s'affirme une vision originale du mythe.

Les oppositions et les contrastes que nous avons soulignés dans l'étude des séquences, ainsi que la complexité et l'ambiguïté du personnage même de Médée et de son statut, expliquent, sans doute, la fortune du mythe depuis l'Antiquité et sa survie jusqu'à nos jours.

Dans les deux premières parties de notre étude, L'espace rituel ; objets, rites, et divinités, notre méthode de travail consistera en une mise en parallèle des pro- blèmes, posés par les codes du rituel théâtral et filmique tels qu'ils sont énoncés par J. Lavelli, A. Serban, Pasolini et par l'analyse anthropologique des rites selon C. Lévi-Strauss et celles des historiens des religions comme M. Eliade et G. Dumé- zil pour retourner à la signification plurivoque des rituels instaurés à Corinthe dans l'Antiquité, en l'honneur des fils de Médée.

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La plurivocité et l'apparence éclectique de cet amalgame de références à M. Eliade et à C. Lévi-Strauss -dont nous reconnaissons et soulignons d'avance la différence radicale dans les présupposés méthodologiques - s'explique par la syn- thèse opérée par des auteurs modernes comme Pasolini qui se réfèrent simultané- ment, dans un "magma" qui est propre à leur création, à M. Eliade et à C. Lévi- Strauss. De fait, inspirés par les données sacrificielles, les poètes et les artistes à partir du XIXe siècle, ont donné au mythe de Médée une dimension particulière le présentant comme une cérémonie, une longue préparation au sacrifice qui s'accomplit dans le cadre d'espaces sacrés, et grâce à la médiation d'objets et de divinités particulières.

Notre approche méthodologique s'attachera, dans la partie sur La Cérémonie rituelle, à une analyse du cadre et de l'espace, le sacré étant, tout d'abord, un espace, pour en venir aux objets, aux actes, aux célébrations des différents rituels dans l'Antiquité et au devenir de ces rituels dans le monde moderne. Nous verrons ainsi que les espaces scéniques et filmiques deviennent créateurs de significations plurivoques autour de centres, d"'ômphaioï", qu'ils sont liés, parfois, à des dis- torsions et à des réitérations du déroulement cérémoniel qui rejoignent une tem- poralité mythique. La célébration théâtrale ou filmique supposant l'utilisation d'objets privilégiés, nous étudierons, en particulier, la manipulation de la parure de Médée, qui sera traitée dans un tableau récapitulatif où seront dénotés les actants et la gestuelle dans la cérémonie imaginée par Pasolini. Le rituel reposant sur un message verbal, ou sonore, nous analyserons la confrontation silence/parole/cri et l'insertion de la musique dans certaines séquences privilégiées du rituel.

La dernière partie de notre travail focalisée sur La dimension sociale et poli- tique, sera directement et logiquement liée à la cérémonie rituelle, d'une part à travers la célébration théâtrale ou filmique, médiation privilégiée vers le social, d'autre part à travers l'approche des divinités barbares de la Colchidienne et l'ap- préhension divergente du phénomène du sacré opérée par Jason, le civilisé, et par Médée, l'étrangère. Nous utiliserons certaines données de l'Anthropologie (G. Glotz (84), L. Gernet) (85), pour détenniner les différentes modalités de la bar- barie et pour apprécier les transformations de cette notion à l'époque moderne, en ne négligeant pas d'examiner les médiations effectuées à travers certaines oeuvres classiques ou post-classiques.

Nous étudierons, donc, l'évolution de cette religion "barbare" de Médée, chez les auteurs grecs et latins après Euripide et la réinterprétation de ce problème à travers l'allégorie du Moyen-Age et l'anthropologie imaginaire dans les oeuvres d'auteurs comme Grillparzer, Legouvé, et chez les Modernes, pour nous attacher ensuite à la vision des dramaturges contemporains sur la xénophobie et le racisme.

Le statut social de la femme sera naturellement envisagé à partir de cette no- tion de barbarie, puisque Médée ne s'offre pas seulement à nous comme une op- primée du fait de son origine barbare, mais aussi en raison de son statut de femme.

La barbarie de Médée pose, enfin, le problème des rapports de force entre peu- ple colonisateur et peuple colonisé et c'est cette dimension politique du mythe, à travers la question de l'impérialisme, que nous dégagerons au XIXe et XXe siècles dans certaines oeuvres privilégiées, en partant des notations de R. Goossens sur Athènes et son empire à l'époque d'Euripide (86).

Nous montrerons, ainsi, que le mythe n'a pas de sens figé mais que celui-ci se construit, bien au contraire, à partir de ses variantes, chacune dévoilant un sens

(84) G. Glotz : La Solidarité de la Famille dans le Droit criminel en Grèce. (85) L. Gernet : Anthropologie de la Grèce antique. (86) R. Goossens: Euripide et Athènes.

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partiel. Ces éléments nous permettront de reconsidérer le problème de la cohé- rence de la figure mythique en montrant qu'il n'y a pas d'interprétation défini- tive. Médée cristallise en elle une ambivalence essentielle et échappe à toute réduc- tion. C'est précisément par cette interrogation constamment portée sur ses mani- festations que Médée tient une place à part dans l'étude des mythes.

Face à l'assertion de R. Trousson (87) qui classe Médée dans les thèmes de situation et qui affirme que le contexte est beaucoup plus uniforme dans les thèmes de situation que dans les thèmes héroïques, nous verrons que Médée ne se présente jamais sous une modalité monochromatique et uniforme mais que, bien au contraire, elle revêt un aspect protéïforme et qu'elle change de statut et de condition. Son aventure exemplaire renouvelle constamment les réflexions et les propositions des auteurs à travers des éléments et des variantes apparemment contradictoires.

Nous serons amenés à nous interroger, précisément, sur les raisons de ces contradictions, et en particulier, sur le retour, chez les contemporains, à la vision d'une Médée victime des conditions socio-culturelles et politiques, version qui s'oppose à une autre tradition anti-féministe qui remonte à l'Antiquité, celle de la femme maléfique et fatale.

Ainsi, le mythe de Médée revêt-il une apparence plurivoque dont nous propo- sons une lecture plurielle qui nous semble être la seule voie possible — compte tenu des différents domaines littéraires et artistiques abordés, de la complexité et de l'ambiguïté radicale de la magicienne infanticide — pour éclairer les différents niveaux d'interprétation à travers les modalités de la littérature et des arts, et pour dégager les structures fondamentales du mythe qui se retrouvent dans ces oeuvres. De fait, le mythe de Médée, comme tout mythe, se constitue autour d'une tension essentielle entre deux phénomènes : d'une part, le mythe de Médée est un monde vivant qui ne saurait être emprisonné dans une signification univoque d'une intransigeante unité, mais, d'autre part, il plonge ses racines dans une tradition antique déjà codifiée.

R. Trousson : Un Problème de Littérature comparée - Les Etudes de Thèmes, Essai de Méthodologie.

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ISBN n° 2-7080-0505-7 155 F

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de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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