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POINTE SAINT CHARLES L’urbanisation d’un quartier ouvrier de Montréal, 1840-1930 Gilles Lauzon - -

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CHARLESL’urbanisation d’un quartier

ouvrier de Montréal, 1840-1930

Gilles Lauzon

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SEPTENTRION

Gilles Lauzon

POINTESAINT

CHARLESL’urbanisation d’un quartier

ouvrier de Montréal, 1840-1930

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Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres. Nous reconnaissons également l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

Avec la collaboration de La Société d’histoire de Pointe-Saint-Charles.

Illustrations de la couverture : Plan d’une partie du secteur de Pointe-Saint-Charles en 1907, comprenant les ateliers du Grand Tronc. A.R. Pinsonneault, Atlas of the Island and city of Montreal […], 1907, planche 22. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, collection numérique de cartes et plans.Sauf indication contraire, les photographies récentes non datées ont été prises par Gilles Lauzon en 2010, 2011 ou 2012.Chargée de projet : Sophie ImbeaultRévision : Fleur NeeshamMaquette de couverture : Olivia GrandperrinMise en pages : Pierre-Louis Cauchon

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I N T R O D U C T I O N

E n 1856 s’ouvraient à Pointe-Saint-Charles les ateliers de la compagnie du Grand Tronc, l’année même où l’on inaugurait le premier lien ferroviaire entre Montréal et

Toronto. Les ateliers de fabrication et de répara-tion des locomotives et des wagons, qui consti-tuaient l’un des premiers grands complexes industriels du Canada, se trouvaient à deux pas du chantier du pont Victoria, la clef de voûte du réseau que la compagnie mettait en place entre les Grands Lacs et l’océan Atlantique. Ainsi pre-nait place à Pointe-Saint-Charles le premier pont à franchir le fleuve Saint-Laurent. Les ateliers du Grand Tronc allaient quant à eux demeurer long-temps la plus grande entreprise industrielle de Montréal, avec des centaines d’ouvriers à l’œuvre. À proximité de ces installations, les abords du canal de Lachine devenaient à la même époque un berceau industriel majeur de Montréal, voire du Québec et du Canada. Le quartier urbain de Pointe-Saint-Charles, né avec le canal industriel et les installations du Grand Tronc, ne pouvait que devenir un secteur ouvrier d’importance.

Après quelques décennies de développement, à la fin du xixe siècle, le quartier de Pointe-Saint-Charles présentait également la particularité unique à Montréal d’être constitué à parts presque égales par les trois grandes communau-tés culturelles de la ville : les catholiques franco-phones, les catholiques d’origine irlandaise et les protestants d’origine britannique (anglaise, écos-saise et irlandaise) – pour simplifier les choses, il

sera question au fil du texte des francophones, des catholiques irlandais et des protestants. Le quartier ouvrier de Pointe-Saint-Charles a donc été un milieu de cohabitation culturelle impor-tant et singulier.

Point St. Charles occupe, avec Verdun sa voi-sine, une place particulière dans la mémoire collective des anglophones de vieille souche, en tant que quartier ouvrier largement anglophone. L’attachement de la communauté irlandaise à ce quartier est d’autant plus grand que des milliers de ses membres ont connu dans les années 1840, à Pointe-Saint-Charles même, la misère des grands baraquements de quarantaine avant l’industrialisation du secteur, et de nombreux Irlandais ont aussi travaillé à l’aménagement du canal de Lachine. Pour rappeler le passé ouvrier des Canadiens français dans le sud-ouest de Montréal, on évoque plus généralement le quar-tier voisin de Saint-Henri, en oubliant toutefois que de nombreux catholiques francophones habi-taient également à Pointe-Saint-Charles. Enfin, les premières décennies du xxe siècle sont mar-quées par l’arrivée de nombreux immigrants d’Europe de l’Est qui ont remplacé, et c’est là une surprise de notre recherche, une bonne par-tie de la communauté irlandaise qui essaime alors hors de la Pointe, plus que les protestants et les francophones.

Bien avant de devenir un quartier urbain, « la Pointe » a connu des millénaires de présence amé-rindienne sporadique. À compter du xviie siècle,

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les Français y ont créé de grandes propriétés agri-coles qui ont occupé les lieux pendant deux siècles, non loin de Montréal. C’était la Pointe-Saint-Charles rurale. Du milieu du xixe siècle jusqu’à la fin des années 1920, le quartier industriel a pro-gressivement été mis en place. Ensuite, soit de 1929 à aujourd’hui, il a subi de graves crises et connu d’importantes mutations, dont la désin-dustrialisation, c’est-à-dire la fermeture des usines, ne fut pas la moindre. La capacité d’organisation communautaire des gens de Pointe-Saint-Charles a fait de ce troisième temps une période remar-quable de résilience communautaire. Les deux siècles de la Pointe agricole constituent en eux-mêmes un sujet d’intérêt, tout comme la résilience communautaire des quelque 80 dernières années. Le présent ouvrage porte quant à lui sur la période médiane, celle de l’urbanisation ouvrière.

Pourquoi « ouvrière » ? D’abord parce que ce quartier a été construit et habité en grande majo-rité par des familles ouvrières. Ensuite parce que nous avons voulu aborder cette histoire complexe et fascinante en adoptant le point de vue de ceux qui l’ont vécue au jour le jour, dans la mesure du possible. Au cours des dernières décennies, les chercheurs se sont généralement penchés sur le passé des quartiers ouvriers sous l’angle de l’histoire sociale ou par le biais du patrimoine bâti, deux approches très différentes. Pour les premiers, il importait souvent de faire ressortir les aspects les plus lourds de la vie ouvrière montréalaise d’autrefois, au point où le quotidien dans ces quartiers semble avoir été essentielle-ment sombre et profondément pénible. Sans remettre en cause l’existence de telles situations, les spécialistes du patrimoine cherchaient pour leur part à souligner l’intérêt fonctionnel, voire esthétique, des formes et des objets-témoins du passé, et ce, jusqu’aux fins détails architecturaux. En somme, une histoire tragique dans un décor intéressant.

Adopter le point de vue de ceux qui ont vécu au jour le jour l’urbanisation de l’intérieur ne peut qu’apporter un éclairage différent. Le quar-tier de Pointe-Saint-Charles peut réapparaître ainsi comme le milieu de vie qu’il a été pour ces ménages, avec ses bons et ses mauvais côtés. Ni paradis ni enfer. Cette approche se reflète dans l’ensemble de ce livre illustré, mais plus particu-lièrement dans les troisième et cinquième cha-pitres, consacrés à trois familles qui ont réelle-ment vécu à Pointe-Saint-Charles. Nous suivrons les ménages de David Turnbull et Jane Neilson, presbytériens d’origine écossaise, de Patrick Mullins et Catherine Tolan, catholiques d’origine irlandaise, d’Onésime Galarneau et Estelle Raymond, catholiques francophones mariés près de Montréal, de même que les enfants mariés de ces trois couples. Dans les trois cas, le père de famille de première génération a longtemps tra-vaillé pour la compagnie ferroviaire du Grand Tronc, ces ménages ouvriers profitant ainsi d’une stabilité qui n’était pas donnée à tous. Les Mullins, les Turnbull et les Galarneau ne sont donc pas représentatifs de tous les ménages ouvriers de leur temps. Ils ne sont pas exception-nels pour autant. Leurs drames et leurs moments de joie ressemblent certainement à ce qu’ont vécu des centaines d’autres ménages de Pointe-Saint-Charles. En les suivant, nous découvrirons leurs lieux de travail et d’habitation, ainsi que les églises, les écoles et les rues commerciales qu’ils ont fréquentées.

Les installations industrielles du Grand Tronc occupent une place centrale dans l’ensemble du livre comme dans la vie de ces trois familles, bien que tous les secteurs industriels soient abordés. Cette importance accordée aux installations fer-roviaires tient à l’histoire du quartier mais aussi à l’historique de cette publication qui remonte au début des années 1990. La compagnie ferro-viaire du Canadien National (CN) appuyait alors

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dans chaque province canadienne la préparation d’un ouvrage devant couvrir un aspect de l’his-toire du CN – ou du Grand Tronc l’ayant pré-cédé. Au Québec, à l’instigation de l’historien Brian Young, l’histoire de Pointe-Saint-Charles et de ses ateliers ferroviaires était proposée par Gilles Lauzon et Jane Greenlaw, et le sujet était retenu par le CN. Le projet pancanadien ayant ensuite été abandonné, le manuscrit est demeuré longtemps en attente.

La Société d’histoire de Pointe-Saint-Charles a pris le relais du CN au cours des années 2000 en parrainant la mise à jour du manuscrit en vue de sa publication. Nous tenons à souligner tout spécialement la contribution et le soutien des regrettées Gisèle Turgeon et Irène Dionne. Une brochure de visite autoguidée du quartier a aussi permis de découvrir le patrimoine de la Pointe avec la première génération des trois familles, une réalisation rendue possible par la contribu-tion financière de la Ville de Montréal et du ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine dans le cadre de l’En-tente sur le développement culturel du Québec (2008-2011).

Lors du lancement de la brochure, en 2013, était présente Hélène Galarneau, une descen-dante directe des Galarneau arrivés au xixe siècle. Elle nous a mis en contact avec sa sœur Dianne Galarneau-Denis qui a dressé l’arbre généalo-gique de la famille. Elle en conserve aussi les souvenirs. De cette rencontre est née une colla-boration qui a relancé la recherche sur la famille Galarneau, tout en nous incitant à poursuivre le travail sur les Mullins et les Turnbull. Ce faisant, les listes nominatives de recensement ont été mises à profit de façon plus poussée qu’aupara-vant, et ce, jusqu’au recensement de 1921 rendu disponible en 2013. L’occasion était trop belle ; des analyses statistiques ont été menées qui nous ont amenés au-delà de ce que nous croyions

pouvoir couvrir. Un groupe-échantillon de près de 300 ménages du recensement de 1921 a notamment pu être constitué, ce qui a permis de porter un nouveau regard sur certaines questions et de faire des comparaisons avec les conditions de vie observées en 1891. Or, de profonds chan-gements ont eu lieu, chez les francophones en particulier, en matière de logement surtout. En somme, la préparation de cet ouvrage a été l’oc-casion d’une recherche scientifique originale. Nous remercions Denis Tremblay qui a contribué à ce travail de recherche et d’analyse, en plus d’avoir généreusement apporté son aide de diverses façons dans l’élaboration du manuscrit.

La publication en 2012 d’un ouvrage impor-tant sur la population de Montréal au xixe siècle a aussi joué un rôle marquant dans cette seconde phase de recherche. Le livre de Sherry Olson et Patricia Thornton1 constitue la synthèse d’un long et vaste processus de recherche ayant donné lieu à la publication de nombreux articles. Leur démarche accorde une grande place aux compa-raisons entre les mêmes trois grands groupes culturels retenus au début des années 1890 pour choisir nos trois familles. À bien des égards, les conclusions des chercheures, à la fois éclairantes et stimulantes, nous ont aidé à mieux com-prendre ce que nous observions. Elles nous ont aussi amené dans certains cas à approfondir des questions et même, pensons-nous, à clarifier ou rectifier certaines choses grâce au fait que nous abordions un seul quartier et que nous ajoutions au portrait historique les premières décennies du xxe siècle. Or beaucoup de choses changent au tournant du siècle.

D’autres recherches et publications antérieures ont été mises à contribution, portant sur les quartiers ouvriers de Montréal, à commencer par

1. Sherry Olson et Patricia Thornton, Peopling the North American City : Montreal 1840-1900, 1992.

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la Pointe elle-même, sur les conditions de vie en général dans les quartiers montréalais (Sainte-Anne et Sainte-Marie en particulier), incluant la mortalité infantile et la consommation du lait, sur l’habitat et les principaux types de maisons, sur les équipements urbains (l’eau courante et les égouts en particulier), les implantations manu-facturières, sur les paroisses, les églises et les réseaux scolaires, travaux sans lesquels cette étude ne serait pas ce qu’elle est. On trouvera notam-ment au fil du texte et dans la bibliographie des renvois aux travaux de Joanne Burgess, Luc Carey, Terry Copp, Lucia Ferretti, Dany Fougères, France Gagnon, Jason Gilliland, Robert Gagnon, Peter Gossage, David Hanna, Réjean Legault, Robert Lewis, Paul-André Linteau, Roderick Macleod, Mary Ann Poutanen, Jean-Claude Robert, André Sévigny, Martin Tétreault, Rosalyn Trigger et Brian Young, en réservant pour la fin de cette énumération les contributions de Denyse Baillargeon et de Bettina Bradbury à qui nous devons beaucoup. Il faut ajouter les publications sur Saint-Henri par l’auteur du présent ouvrage ainsi que les travaux déjà diffusés par la Société d’histoire de Pointe-Saint-Charles.

L’historien Robert Sweeny, professeur à Saint-Jean de Terre-Neuve et codirecteur à Montréal d’un groupe de recherche sur l’histoire de la ville et des Montréalais, a mis à notre disposition des données déjà colligées et numérisées sur la pro-priété à Pointe-Saint-Charles en 1903 tout en nous donnant accès à ses conclusions prélimi-naires sur cette question, à l’échelle de Montréal. Cet apport a permis d’enrichir encore la vision historique d’ensemble. Nous l’en remercions chaleureusement.

Il sera beaucoup question dans ce livre de revenus et de stratégies économiques des ménages, ainsi que des conditions d’habitation, notamment grâce à l’analyse des modes d’occupation des

logements. La mise en lumière des standards du milieu en cette matière permettra de situer les ménages les uns par rapport aux autres, à l’échelle du quartier, mais aussi à l’intérieur de chaque communauté culturelle, celles-ci étant loin d’être homogènes.

Ce portrait nouveau d’un quartier ouvrier nous a même amenés à revisiter la lourde et difficile question de la mortalité infantile, ce que nous avons cherché à faire dans l’esprit du livre tout en mettant à profit les données et les ana-lyses les plus à jour, puisées notamment dans les ouvrages de Denyse Baillargeon et dans celui de Sherry Olson et Patricia Thornton. Des données anciennes, colligées en 1896 par Herbert Ames2 ont également été mises à profit, dans une approche renouvelée.

Peut-être pouvons-nous risquer d’avancer que si la présente publication sur Pointe-Saint-Charles apporte un éclairage nouveau sur diverses questions, elle le doit à la conjugaison inédite de l’histoire urbaine, sociale, architecturale et patri-moniale avec de grandes sagas familiales permet-tant d’entrer dans l’intimité du quartier, et ce, sans masquer la misère ni chercher à la voir où elle n’est pas. Dans une telle approche, les illus-trations prennent autant d’importance que le texte. Le portrait historique et patrimonial qui en résulte se trouve constitué à la fois d’ombre et de lumière, de constats troublants et de par-cours individuels et collectifs enthousiasmants.

Avant de plonger dans l’histoire du quartier, il convient de préciser certaines choses quant à son territoire et à son appellation. Situé au sud-ouest du centre-ville actuel, du Vieux-Montréal et de Griffintown, il est délimité par le canal de Lachine et, à l’opposé, par la berge du fleuve Saint-Laurent longée par l’autoroute Bonaventure, cette dernière complétant aujourd’hui son encadrement à l’est,

2. Herbert Ames, The City below the Hill, [1897].

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alors qu’à l’ouest se trouvent une voie ferrée suré-levée et une autre autoroute (15). Pointe-Saint-Charles est aujourd’hui un quartier identifié comme tel dans l’arrondissement Le Sud-Ouest de Montréal, ce qui constitue une reconnaissance de sa réalité géographique et historique. Paradoxalement, il n’y a jamais eu de quartier administratif montréalais portant l’appellation de Pointe-Saint-Charles. Pendant les années 1870 et 1880, la municipalité de banlieue de Saint-Gabriel recouvrait une partie de son territoire tandis que les premières zones urbanisées de « la Pointe » faisaient partie du quartier montréalais de Sainte-Anne (des plans sont présentés et expli-qués dans le corps du texte ; fig. 1, 5, 42 et 43). Cette division en deux zones administratives est demeurée en usage après que la municipalité de Saint-Gabriel eut été annexée et qu’elle fut deve-nue un quartier de Montréal. Bref, pendant toute la période d’urbanisation couverte par le présent ouvrage, le territoire de Pointe-Saint-Charles n’avait pas d’existence administrative. Il était pourtant bien réel et « la Pointe » possédait d’évi-dentes limites quasi naturelles.

L’appellation « Pointe-Saint-Charles » apparaît dans le texte de l’une des premières concessions de terre. Le 23 juillet 1654 étaient concédées à Charles Lemoyne et Catherine Primot « les terres appelées la Pointe-Saint-Charles proche la Grande Anse […] situées entre la Grande Rivière [le fleuve Saint-Laurent] et une concession […] appartenant [depuis 1651] à Jean de Saint-Père3 ». Cette propriété concédée au couple

3. « Les Quartiers municipaux de Montréal depuis 1832 », Archives de la Ville de Montréal, 1973 ; « Histoire du quartier de la pointe Saint-Charles », vol. 1, 7. Pour plus de détail, le site Web Les Premiers Montréalais, créé par Yvon Sicotte (consulté en 2012), offre un relevé analytique détaillé de l’origine de toutes les terres de Pointe-Saint-Charles : http://lespremiersmontrealais.com/intro-base-de-donnees/analyses-et-commentaires/.

Lemoyne-Primot, de quelque 90 arpents, for-mait une demi-lune en bordure du fleuve, là où serait plus tard aménagée l’entrée du pont Victoria. Au cours des décennies suivant la concession de la terre, l’appellation Pointe-Saint-Charles attribuée à cette propriété était adoptée dans l’usage courant pour désigner également les terres voisines, jusqu’à inclure le domaine Saint-Gabriel des sulpiciens, lui-même traversé ensuite par le canal de Lachine. Ce dernier est devenu une nouvelle limite naturelle, avec le fleuve Saint-Laurent au sud et à l’est, et la rivière Saint-Pierre au sud-ouest – le cours de cette rivière se trouvait approximativement là où passe maintenant l’autoroute reliant l’échangeur Turcot au pont Champlain. Il faut souligner également que, pour les anciens du quartier, il y a toujours eu deux quartiers en un, de chaque côté de la « track », la voie surélevée du CN traversant la Pointe de part en part avec seule-ment quatre lieux de passages. L’un de ces côtés a longtemps été plus anglophone et protestant que l’autre.

L’usage populaire a voulu, et veut encore, que l’on élude l’article « la » devant l’appellation du quartier, tout en l’utilisant dans son diminutif. On habite « à Pointe-Saint-Charles » ou « à la Pointe », et non « à la Pointe-Saint-Charles ». Nous respectons cet usage populaire et nous utiliserons souvent le diminutif « la Pointe » si cher aux gens du quartier. Enfin, nous suivrons l’usage nord-américain, et montréalais par consé-quent, pour le décompte et l’identification des étages des bâtiments, le rez-de-chaussée étant considéré comme un étage. Il sera beaucoup question de maisons de deux ou trois étages dans cet ouvrage.

Gilles Lauzon et Jane Greenlaw, chercheursNathacha Alexandroff et Richard Labrosse,

Société d’histoire de Pointe-Saint-Charles

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CHAPITRE 1

L E S A N N É E S 1 8 4 0 : G R A N D E S F E R M E S , G R A N D S P R O J E T S ,

G R A N D E S M I S È R E S

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L ’histoire ouvrière de Pointe-Saint-Charles commence dans les années 1840. Le canal de Lachine, inauguré en 1825, ne répond à ses débuts qu’à des objectifs de transport

commercial – et potentiellement militaire – entre le port fluvial de Montréal, encore embryonnaire, et le Haut-Canada (future province d’Ontario). La construction dans le port des premiers quais de pierre et l’ouverture de la douane à Montréal, au cours des années 1830, contribuent forcément à l’augmentation du trafic sur le canal, sans pour autant en changer la fonction commerciale. Le canal constitue néanmoins une nouvelle barrière qui, avec le fleuve Saint-Laurent et la rivière Saint-Pierre au sud-ouest, va délimiter le secteur industriel et ouvrier de Pointe-Saint-Charles (fig. 1).

Couvert de champs en culture et de pâturages, ce secteur fait encore partie en 1840 de la cam-pagne montréalaise tandis que le quartier Griffintown – ou faubourg Sainte-Anne – se développe de l’autre côté du canal.

La Pointe champêtre

En 1840, quatre institutions religieuses montréa-laises possèdent à Pointe-Saint-Charles de grandes propriétés agricoles, de formes irrégu-lières, imbriquées les unes dans les autres. Le chemin de la Rivière-Saint-Pierre1 (actuelle rue Wellington) qui relie Montréal à Lachine, tra-verse le secteur de part en part. D’un côté du chemin, au nord-ouest, se trouve la ferme

1. Ou Lower Lachine Road pour les anglophones.

Saint-Gabriel, un domaine seigneurial établi dès le xviie siècle et appartenant aux sulpiciens, seigneurs de Montréal2. Les bâtiments de ferme – aujourd’hui disparus – se trouvent alors à proximité du canal et de la première écluse Saint-Gabriel. À compter des années 1820, les employés de la ferme doivent franchir un pont pour circuler d’un côté à l’autre du canal. Une autre voie d’eau, plus étroite et beaucoup plus ancienne parcourt également le domaine de part en part, en passant même sous le canal encore peu profond en 1840. Il s’agit sans doute d’un ancien ruisseau, canalisé dès le xviie siècle par les sulpiciens, et relié à la rivière Saint-Pierre au sud-ouest3. On prévoyait à l’origine rejoindre ainsi le lac Saint-Louis en évitant les rapides de Lachine, mais la section proche du lac Saint-Louis n’a jamais pu être complétée avant l’ouver-ture du canal de Lachine en 1825. Le ruisseau canalisé a néanmoins servi à détourner une partie des eaux de la rivière Saint-Pierre vers la Petite rivière, au nord-est4, dont le courant actionnait un important moulin seigneurial avant de se jeter dans le fleuve à la pointe à Callière.

2. On peut voir à ce sujet Les cahiers de la Société d’histoire de Pointe-Saint-Charles, vol. 1 : « Autour de la ferme Saint-Gabriel des sulpiciens de Montréal », Montréal, Société d’histoire de Pointe-Saint-Charles, 2009, 29 p.

3. Les cahiers de la Société d’histoire de Pointe-Saint-Charles, volume 2 : « Rivière Saint-Pierre », Montréal, Société d’histoire de Pointe-Saint-Charles, 2010, 40 p.

4. On dit aussi la Petite rivière Saint-Pierre. Le vieux canal-ruisseau allait rester longtemps perceptible au xixe siècle dans le quartier de Pointe-Saint-Charles en cours d’urbanisation.

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15c h a p i t r e 1 • Les années 1840 : grandes fermes, grands projets, grandes misères

Entre le chemin et le fleuve s’étendent les champs appartenant à trois communautés, les Sœurs de la charité de Montréal (Sœurs grises), vouées à l’aide aux démunis, les Hospitalières de Saint-Joseph, responsables de l’Hôtel-Dieu, et les

religieuses de la congrégation de Notre-Dame, vouée à l’enseignement. Les bâtiments (disparus) des Sœurs grises et des hospitalières se trouvent en 1840 à l’ex trémité nord-est du secteur, près du fleuve et de l’entrée du canal. La ferme de la

1. Plan-croquis de Pointe-Saint-Charles vers 1840, Gilles Lauzon, 1991. Reconstitué à partir de plusieurs plans et cartes d’époque.

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pointe Sainte-Charles, qui appartient aux reli-gieuses de la congrégation de Notre-Dame, est située en bordure du fleuve également, mais plus au sud que les deux autres. Ses bâtiments sont groupés un peu à l’écart du grand chemin, à proximité de la berge. De là, on peut se rendre en barque à l’île Saint-Paul (l’île des Sœurs) qui appartient également à la congrégation fondée par Marguerite Bourgeoys. Elle avait vu à la mise en place de cette ferme de la Pointe-Saint-Charles dès le xviie siècle5. La maison, déjà vieille de quelque 150 ans en 1840, est encore en place aujourd’hui après plus de trois siècles, transformée

5. Emilia Chicoine, La Métairie de Marguerite Bourgeoys à la Pointe-Saint-Charles, Montréal, Fides, 1986, 359 p. Dès 1662, une terre était concédée à cet endroit à Marguerite Bourgeoys, la propriété étant ensuite agrandie par d’autres acquisitions.

par la congrégation en un musée d’histoire, sous le nom de Maison Saint-Gabriel – une appella-tion empruntée au xxe siècle à l’ancienne ferme des sulpiciens6 (fig. 2 et 3).

En plus des grandes propriétés institution-nelles et de la terre Knox, située entre celle de la congrégation et la rivière Saint-Pierre, on trouve en 1840 l’ancienne commune Saint-Pierre consti-tuée de basses terres situées près des bâtiments de la ferme de la congrégation de Notre-Dame. Ce pâturage commun, réservé à l’usage collectif

6. Au sujet de la maison : E. Chicoine, op. cit., p. 11, 87-110, 121-142. La congrégation de Notre-Dame est toujours propriétaire d’une partie du site d’origine, de la maison et d’autres bâtiments. Une jetée et des remblais ajoutés au fil du temps ont fait en sorte que la maison se trouve aujourd’hui à une bonne distance du fleuve alors qu’elle était près de la rive à l’origine.

2. La maison et les bâtiments de l’ancienne ferme de Pointe-Saint-Charles, photographiés au début du xxe siècle. Carte postale datée de 1907. Collection de Christian Paquin.

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des propriétaires des terres avoisinantes, sera ensuite divisé entre eux, chacun obtenant la pleine propriété d’une partie de cette zone de pâturage. Au nord-est se trouve enfin la pointe des Moulins7, qui forme en 1840 une étroite bande de terre entre le fleuve et le canal. Elle sera toujours distincte de Pointe-Saint-Charles.

Un dessin réalisé vers 1842 nous permet d’ob-server un campement indien en bordure du fleuve, probablement en contrebas de la ferme des sœurs grises. On voit en arrière-plan la pointe

7. Ou Windmill Point en anglais. À l’origine, l’appel-lation « pointe des Moulins » provenait de la présence de moulins à vent. Il y a eu ensuite des moulins hydrauliques industriels dont les turbines étaient alimentées par l’eau du canal. De grands silos à grains désaffectés occupent les lieux au début du xxie siècle.

des Moulins et Griffintown, ainsi que le cœur de Montréal dominé par les deux hautes tours récemment construites de l’église Notre-Dame. L’établissement temporaire représenté par dessin possède des racines plus anciennes que celles des fermes institutionnelles du secteur. Lors du recensement de 1842 huit familles amérindiennes sont inscrites dans ce secteur, comprenant 14 adultes mariés et 17 jeunes8, qui pourraient fort bien habiter ce camp. Pêchent-ils encore dans le fleuve à cet endroit ? Y sont-ils plutôt pour faire des échanges en ville ? Ou ces deux activités à la fois ? Quoi qu’il en soit, il s’agit de la fin d’une très longue tradition. Cette image nous rappelle en effet que l’usage humain des lieux remonte à

8. Liste nominative du recensement de 1842.

3. Maison Saint-Gabriel, transformée en musée, autrefois maison de la ferme de la Pointe-Saint-Charles. Le corps de bâtiment principal a été construit en 1698 après qu’une première maison acquise en 1668 eut été incendiée. De cette première maison, il resterait le petit corps de bâtiment de gauche ; l’adjonction à droite date de 1826.

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bien avant l’arrivée des Français, alors que les Iroquoiens et les Algonquiens sillonnaient la vallée du Saint-Laurent, comme d’autres avant eux. Les Amérindiens ont certainement établi au fil des siècles de nombreux campements à Pointe-Saint-Charles, bien avant que soit créée cette appellation française9.

En arrivant d’Irlande : travaux et baraquements

Après la création du Canada-Uni – le Bas-Canada et le Haut-Canada réunis en une seule colonie – au début des années 184010, on met au point

9. Atlas historique au Canada, des origines à 1800, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1967, planche 33.

10. Une loi votée à cet effet en 1840 entre en vigueur en 1841. On se souvient que la création du Canada-Uni

un programme pour améliorer le système de transport par eau, ce qui comprend l’ouverture de nouveaux canaux à l’ouest de Montréal et le réaménagement de ceux déjà en service. L’élargissement et le réaménagement du canal de Lachine demandent de grands travaux qui durent de 1843 à 184811 (fig. 5).

De nombreux immigrants arrivent d’Irlande à Montréal au cours de cette décennie, dont plu-sieurs s’installent à Griffintown, majoritairement anglophone, un quartier qui était largement protestant avant cette vague catholique irlan-daise12. Le réaménagement du canal requérant

fait suite à l’écrasement des Rébellions de 1837-1838 et au rapport de lord Durham.

11. André Sévigny, L’urbanisation dans le corridor du canal de Lachine dans la deuxième moitié du xixe siècle, p. 77.

12. On associe généralement le développement initial du faubourg Sainte-Anne, ou Griffintown, à l’arrivée des

4. Campement indien à la pointe Saint-Charles, vers 1842. Probablement dessiné par Thomas Lyde Hornbrook ; anciennement attribué à James Duncan. Bibliothèque et Archives du Canada, 1934-409-1.

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19c h a p i t r e 1 • Les années 1840 : grandes fermes, grands projets, grandes misères

Irlandais catholiques. Pourtant, en 1825, soit l’année de l’inauguration du canal de Lachine, le recensement réalisé sous la direction de Jacques Viger, qui donnait des infor-mations sur le pays d’origine et la religion des personnes recensées, révélait que dans le faubourg Sainte-Anne les protestants formaient environ 60 % de la population. IIs étaient nés au Canada, en Angleterre, en Écosse, aux États-Unis et en Irlande. Les Irlandais catholiques formaient pour leur part environ le quart de la population du quartier et les « Canadiens », francophones et catholiques, 14 %. Jacques Viger, Dénombrement du comté de Montréal fait en 1825 […] ; on peut notamment consulter une copie aux Archives de la Ville de Montréal ; pour une version publiée, voir Claude Perrault, Montréal en 1825, Groupe d’études Gen-Histo, 1977. Le profil ethno-culturel changeait

une large main-d’œuvre, ces nouveaux immi-grants y sont engagés massivement. Au plus fort des travaux, on emploie 1 600 hommes, de Montréal à Lachine. On construit vers 1843-1844 des baraquements à Pointe-Saint-Charles pour loger une partie des ouvriers, probablement des célibataires13. Ces bâtiments (disparus peu après) se trouvent au sud de l’entrée du canal, près de Griffintown et de la pointe des Moulins.

probablement de façon accélérée dans ce quartier au cours des années 1840 avec l’arrivée massive des Irlandais catho-liques fuyant la famine.

13. A. Sévigny, op. cit., p. 77.

5. Plan-croquis de Pointe-Saint-Charles vers 1850, Gilles Lauzon, 1991. Reconstitué à partir de plusieurs cartes et plans d’époque.

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Ce sont en quelque sorte les premiers logements ouvriers de Pointe-Saint-Charles. Les baraque-ments voisinent un bâtiment destiné à la fabri-cation de cordages (également disparu), dont on sait peu de chose. Construit avant ou pendant l’élargissement du canal, ce bâtiment serait quant à lui le premier atelier de production du secteur.

Les conditions de travail sur le chantier du canal sont dures et les salaires très bas, surtout pour les journaliers. Les entrepreneurs qui reçoivent les contrats pour les canaux de Lachine et de Beauharnois emploient tous des travailleurs irlandais et les exploitent de façon éhontée, de l’avis même de nombreux témoins de l’époque14. Les tensions montent au printemps 1843 alors que les ouvriers les plus revendicateurs se rebellent contre les conditions qui leur sont imposées. La grève de 1843 se termine cependant dans une répression sanglante près de Beauharnois.

Alors que ces travaux se poursuivent, en Irlande une grave maladie ravage les plantations de pommes de terre qui y constituent la base du régime alimentaire. S’ensuit une famine qui entraîne une recrudescence de l’émigration. On fait état de 90 000 Irlandais arrivés au Canada au cours de la seule année 184715. Beaucoup de ces immigrants sont déjà affaiblis à leur départ et les conditions de traversée sont telles que le typhus se déclare sur plusieurs navires.

Les baraquements construits vers 1843 pour les ouvriers du canal sont utilisés pour les malades et la corderie voisine est bientôt transformée à son tour en hôpital16. Mais cela ne suffit pas. Pour répondre aux besoins, les pouvoirs publics construisent d’immenses baraquements de

14. Raymond Boily, Les Irlandais et le canal de Lachine : la grève de 1843, passim.

15. Lacoursière et al., Canada-Québec, synthèse histo-rique. Montréal, Éditions du Renouveau pédagogique, 1970, p. 365.

16. A. Sévigny, op. cit., p. 84.

quarantaine sur la terre des sœurs grises, près du fleuve (voir fig. 5 et fig. 6).

Des milliers de personnes y meurent17 ; on aménage un cimetière à côté des baraquements. Les sœurs grises participent activement avec l’aide d’autres communautés au soutien des malades, des mourants, des orphelins survivants. Survient en plus une inondation qui envahit l’ensemble des bâtiments en hiver 1848. L’eau monte jusqu’aux lits ; il faut évacuer18. Heureusement, l’épidémie de typhus régresse ensuite. Les baraquements sont réutilisés en 1849 pendant une épidémie de choléra qui frappe Montréal. Par la suite, les bâtiments restent vides pendant plusieurs années19.

Les conditions du boom industriel et urbain

Les années 1840 marquent les débuts de l’histoire ouvrière de Pointe-Saint-Charles, mais il s’agit d’installations temporaires, tandis que Griffintown accueille les immigrants à long terme. Même la manufacture de cordage est démolie peu après son utilisation pour les soins aux malades. Les conditions sont néanmoins mises en place au cours de ces années pour le développement indus-triel et urbain qu’on connaîtra pendant les décen-nies suivantes. Au nord-est de Pointe-Saint-Charles, à la pointe des Moulins, l’aménagement du canal est réalisé de façon à utiliser les surplus

17. Le texte du monument commémoratif érigé en 1859, le Black Rock, fait état de 6 000 morts à cet endroit en 1847-1848 ; un relevé des épidémies et des pointes de mortalité, réalisé par Jean-Claude Robert, indique 3 860 personnes mortes du typhus à Montréal en 1847 (J.C. Robert, Montréal, 1821-1871, p. 214).

18. Sœur E. Mitchell, Mère Jane Slocombe, neuvième supérieure générale des Sœurs Grises de Montréal, 1819-1872, Montréal, Fides, 1964, p. 87-96, 105.

19. Ibid., p. 105 : A. Sévigny, op. cit., p. 85.

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INTRODUCTION 7

CHAPITRE 1 Les années 1840: grandes fermes, grands projets, grandes misères 13La Pointe champêtre 14En arrivant d’Irlande : travaux et

baraquements 18Les conditions du boom industriel et urbain 20

CHAPITRE 2 La formation d’un quartier ouvrier, 1850-1900 25Le Grand Tronc à Pointe-Saint-Charles 28Le canal et les emplois industriels 42L’espace urbain et les groupes culturels 53La propriété 73L’eau courante et les égouts 76Les maisons 80Le logement et les modes standard

d’occupation 95La mortalité 103

CHAPITRE 3 Trois familles de 1850 à 1900La première génération 111Des arrivants qui s’installent 112

Les Mullins chez eux 117Les Galarneau chez eux 124Les Mullins et les Galarneau dans

leurs paroisses 135Les Turnbull chez eux 136

CHAPITRE 4 Le quartier à maturité, 1900-1930 143Du Grand Tronc au CN 145Les autres industries 155Le développement urbain jusqu’à

maturité 161Nouvelles maisons – vieilles maisons 175La chute de la mortalité infantile 180Les ménages, leurs revenus et leurs

logements en 1921 184

CHAPITRE 5 Les trois familles de 1900 à 1930La deuxième génération 199Les Turnbull 200Les Mullins 206Les Galarneau 213

Épilogue et conclusion 231

Bibliographie 239

T A B L E D E S M A T I È R E S

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cet ouvrage est composé en adobe garamond pro corps 11.5selon une maquette de pierre-louis cauchon

et achevé d’imprimer en novembre 2014sur les presses de l’imprimerie marquis

à montmagnypour le compte de gilles herman

éditeur à l’enseigne du septentrion