Tungurahua Un volcan versatile - Site Web IRD€¦ · Le Tungurahua menace près de 30 000...

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 37 - novembre/décembre 2006 7 Recherches 14 juillet, 17h30, une colonne de gaz éruptifs et de cendres s’élève 13 km au-dessus du Tungurahua. Patricio Ramón et Diego Barba, de L’IG-EPN, et Arnaud Vallée, de l’IRD, de service à l’observatoire, donnent aussitôt l’alerte pour une évacuation des versants nord-ouest, ouest et sud, comme le préconise la carte des menaces publiée il y a quatre ans par l’IRD et L’IG-EPN. Mille cinq cents personnes sont déplacées peu avant que des nuées ardentes (ou coulées pyroclastiques) n’atteignent les alentours du village de Cusua. 16 août, un trémor continu et excep- tionnellement fort est enregistré à partir de 8 heures. Il s’agit d’un signal sismique de résonance provo- qué en profondeur par la circulation du magma ou par les gaz qui s’en échappent. Une colonne comparable à celle de juillet se forme. L’alerte est donnée et, en fin de journée, près de 3 000 personnes ont quitté les zones à haut risque. De 17 heures jusqu’à 2 heures du matin, de nombreuses nuées ardentes, for- mées à partir d’explosions soute- nues, dévalent les pentes du volcan. Une région dévastée Du nord-ouest au sud, une douzaine de vallées ont été ravagées par les écoulements de cendres et de blocs dont les dépôts atteignent par endroits plus de 10 m d’épaisseur. Les déferlantes associées à ces nuées – il s’agit de souffles de forte énergie, surchargés de cendres et lapilli, extrêmement meurtriers – ont recouvert une large surface des versants, détruisant la végétation et une partie de l’habitat. Au débouché des vallées, des deltas constitués par ces matériaux se sont formés, retenant en plusieurs endroits les eaux des rios Chambo et Puela. Fort heureusement, ces barrages ont cédé lentement, sans former de vague Recherche et prévention Le Tungurahua menace près de 30 000 personnes réparties sur 35 communes. Le réveil de 1999 com- mandait d’accroître les connaissances sur l’histoire du volcan et d’en renfor- cer la surveillance. Un projet du dépar- tement d’aide humanitaire de l’Union européenne (Echo) a contribué à atteindre ces objectifs. Aux côtés de l’IRD et de l’IG, ce projet, Communautés affectées par le Tungurahua : amoindrir les risques de vivre près d’un volcan actif, réunit une agence humanitaire britannique, une ONG américaine, ainsi que deux organisations catholiques équatoriennes. En premier lieu, il s’agissait d’aider les populations vulnérables à se préparer à une catastrophe. De nouveaux moyens de communication et d’alerte, des schémas d’évacuation et d’héberge- ment, des installations d’équipements de santé, etc., furent développés. L’information constante des villageois et des réflexions sur leur perception du risque, ont forgé un comportement responsable des populations et permis l’organisation de comités locaux d’ur- gence qui ont montré leur efficacité. En second lieu, les études géologiques et géophysiques visent à mieux évaluer les aléas associés à l’évolution de l’acti- vité éruptive et à définir leur probabi- lité. « Le suivi quantitatif du débit des produits solides, permettant d’établir des pronostics de chutes de cendres en temps réel par secteur géographique, doit faire partie des analyses de rou- tine », insiste J.-L. Le Pennec, chargé de recherche à l’IRD. La reconstitution de la chronologie des éruptions au cours des derniers millénaires établit maintenant les relations entre fréquence, magni- tude et style d’éruption. La prochaine édition de la carte de risques en tient compte. Globalement, dans un temps relativement bref, de nombreuses informations ont été réunies 1 . 1. Valorisées par un séminaire scientifique international qui a regroupé 150 chercheurs des sciences de la Terre et des sciences sociales au mois de mai 2005. L’observatoire Dès le début de la crise volcanique en 1999, l’Institut de géophysique de l’EPN s’est doté d’un observatoire permanent avec un double but : corréler des ob- servations visuelles aux informations des divers capteurs (sismologiques, de déformation du sol…) et maintenir une présence scientifique toute l’année, jour et nuit, en contact permanent avec l’IG-EPN et les autorités du canton de Baños. Ainsi, sur la base d’une infor- mation actualisée de l’état du volcan, une alerte peut être déclenchée à tout moment. Une quinzaine de vigiles bénévoles habitant près du volcan sont en contact radio avec l’OVT et fournis- sent chaque soir le compte-rendu de leurs observations. Ce réseau d’infor- mateurs est une partie fondamentale de la surveillance car ils représentent « les yeux et les oreilles » de l’observa- toire. La surveillance sismologique est assu- rée par 9 stations. Deux inclinomètres et 5 stations de mesures à distance permettent de surveiller les défor- mations de l’édifice 1 . Le taux de SO 2 émis dans le panache est mesuré et deux stations détectant les vibrations du sol spécifiques à l’avancée de coulées de boue sont situées de façon à prévenir l’arrivée de tels écoule- ments vers Baños. Une webcam tour- née vers le volcan fonctionne en per- manence et une caméra thermique qui détecte les anomalies de chaleur est installée occasionnellement. Une station météorologique complète cette instrumentation. 1. Une partie de ce matériel a été détruit par les récentes éruptions. boueuse très destructrice. Plusieurs nuées sont descendues en direction de Baños, l’une d’elles s’arrêtant à 1,5 km de cette ville de 15 000 habi- tants. Enfin, le nuage éruptif, emporté à l’ouest par le vent, a déposé sur tout le secteur occidental une couche de cendres et lapilli. Des blocs de ponce de plus de 20 cm ont été transportés à 10 km du cratère. Six personnes demeurées en zone à haut risque sont les seules victimes de cette éruption explosive, immédia- tement suivie par des coulées de lave qui s’épanchèrent jusqu’aux basses pentes. Les premières estimations de volumes indiquent que près de 7 mil- lions de mètres cubes de produits pyroclastiques ont été émis le 14 juil- let, alors que l’épisode du 16 août, avec plus de 50 millions de mètres cubes, semble bien correspondre à une phase paroxysmale du cycle d’activité éruptive commencé il y a sept ans, étape déterminante à la fois attendue et terriblement redoutée. Au Tungurahua, sur près de vingt événements importants produits au cours des trois derniers millénaires, la plupart sont de ce type, avec des indices d’explosivité volcanique (VEI) de 3, rarement 4, ce qui signifie entre 10 7 et 10 9 m 3 de produits pyroclas- tiques émis et une colonne éruptive de 10 à 25 km. Un fut nettement plus fort avec un VEI 5 (10 9 à 10 10 m 3 , colonne de plus de 25 km). Ces résul- tats sont le fruit de nombreuses recherches de terrain, associées à des datations au C 14 , à l’interpréta- tion des successions lithologiques laissées par les éruptions anté- rieures et au déchiffrage d’archives L’origine des gaz A u cours des dernières années, les quantités de dioxyde de soufre rejetées par le volcan ont souvent dépassé 1 000 tonnes par jour, pour atteindre jusqu’à 30 000 le 17 août. Les études conduites par J.-L. Le Pennec montrent que les variations des dynamismes éruptifs observés en surface peuvent s’ex- pliquer par un flux – ou panache – plus ou moins fourni de bulles. Le renou- vellement de magma non dégazé dans la partie haute du système magmatique étant assuré par des cellules convectives animées par ce panache. L’éruption en cours, comme celle de 1916-1918, pose le problème de la forte explosivité d’un magma après une longue période de dégazage. À partir des mesures de flux de SO 2 effectuées pendant la crise, de la mesure des éléments volatils (S, Cl, H 2 O) encore inclus dans les laves expulsées en juillet-août, et de mesures pétrophysiques, l’établissement d’un bilan du dégazage doit permettre de remonter au taux de gaz initial dans le magma et à son origine. Les résul- tats de recherches utilisant les isotopes de l’oxygène, menées sur des produits comparables émis par des volcans du Chili, mais d’un ordre de grandeur supé- rieur (1 à 10 km 3 ) mettent l’accent sur les échanges possibles entre des roches du soubassement et le magma. Au Tungurahua, cette voie mérite d’être explo- rée pour comprendre le fonctionnement interne du volcan. historiques. Ils comprennent égale- ment des calculs et reconstitutions par informatique de la dynamique des éruptions passées. Un comportement paradoxal La prévision d’une éruption volca- nique est encore rarement possible et surtout, jamais assurée de succès. Le comportement paradoxal du Tungurahua ne fait que compliquer ce problème. La phase paroxysmale d’une éruption y est soit précoce, ou bien intervient plus tardivement, au cours ou plutôt vers la fin d’une longue période d’activité. Par exemple, l’éruption de 1886 a débuté soudaine- ment avec l’expulsion de déferlantes véloces et meurtrières, suivies peu après par des nuées ardentes à scories rubannées, ca- ractéristiques d’un mé- lange entre deux magmas, plus ou moins siliceux. En 1640, emportant une partie du sommet, un souffle s’est répandu jusqu’à une quinzaine de kilomètres, recouvrant toute la zone située à l’ouest de maté- riaux cendreux. Un vil- lage a probablement disparu au cours de cet événement. Impacts de blocs dans un toit à 8 km du cratère. ©IRD/J.-L. Le Pennec T u n g u r a h u a Un volcan versatile © IRD/A.Vallée Localisation des trajets des écoulements pyroclastiques émis les 14 juillet et 16 août (en bleu) sur la carte des menaces, publiée par l’IRD et l’EPN la zone à haut risque apparaît en rouge. Il ne s’agit que des écoulements de nuées ardentes, les zones affectées par les déferlantes sont beaucoup plus larges et peuvent rejoindre deux vallées voisines. Au lendemain d’une éruption, les cendres encore en suspension dans l’air forment comme un brouillard. Contacts IRD Claude Robin [email protected] Jean-Luc Le Pennec [email protected] Arnaud Vallée [email protected] Jean-Philippe Eissen [email protected] IG-EPN Hugo Yepes [email protected] Pablo Samaniego [email protected] Patricio Ramón [email protected] Minard Hall [email protected] Coulée de lave du 17 août. En revanche, l’éruption de 1916-1918 a commencé modestement, avec des épisodes d’activité mineure et des périodes d’accalmie de plusieurs semaines ou mois, puis des cycles explosifs plus forts, pour aboutir, après plus de deux années, à la phase paroxysmale. Avec plusieurs épisodes cendreux importants (août 2001, juin 2003), le développement de l’activité initiée en 1999 est tout à fait comparable. Deux constatations ressortent : d’une part, l’apparition précoce de la phase paroxysmale semble corrélée à la pré- sence de mélanges magmatiques – et à des périodes d’activité explosive vio- lentes et courtes –, alors qu’une acti- vité plus longue semble « préparer » cette phase paroxysmale ; d’autre part, l’émission de laves annonce l’es- soufflement du potentiel éruptif du magma et le déclin de l’activité. Les coulées de lave du 17 août figurent au moins une pause de l’activité forte- ment explosive. Il faut toutefois noter qu’en 1918, une dernière phase de nuées ardentes s’est produite six mois après la phase paroxysmale. Ce seul fait impose de rester vigilant. Étant donné la nature cendreuse des dépôts, la survenue de fortes coulées boueuses est désormais prévisible. En cas de pluies importantes, leur déclen- chement est soudain et elles peuvent persister des mois, voire une ou plu- sieurs années. Les conséquences sont multiples : forte érosion des versants, destruction des voies d’accès (routes, ponts) ayant résisté à l’éruption, manque d’eau potable, etc. © Minard Hall, IG-EPN © À venir © IRD/C. Robain

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 37 - novembre/décembre 2006

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Rech

erches

14 juillet, 17h30, une colonne de gaz éruptifs et de cendress’élève 13 km au-dessus du Tungurahua.Patricio Ramón et Diego Barba, de

L’IG-EPN, et Arnaud Vallée, de l’IRD, de

service à l’observatoire, donnent

aussitôt l’alerte pour une évacuation

des versants nord-ouest, ouest et

sud, comme le préconise la carte des

menaces publiée il y a quatre ans

par l’IRD et L’IG-EPN. Mille cinq cents

personnes sont déplacées peu avant

que des nuées ardentes (ou coulées

pyroclastiques) n’atteignent les

alentours du village de Cusua.

16 août, un trémor continu et excep-

tionnellement fort est enregistré à

partir de 8 heures. Il s’agit d’un

signal sismique de résonance provo-

qué en profondeur par la circulation

du magma ou par les gaz qui s’en

échappent. Une colonne comparable

à celle de juillet se forme. L’alerte

est donnée et, en fin de journée, près

de 3 000 personnes ont quitté les

zones à haut risque. De 17 heures

jusqu’à 2 heures du matin, de

nombreuses nuées ardentes, for-

mées à partir d’explosions soute-

nues, dévalent les pentes du volcan.

Une région dévastéeDu nord-ouest au sud, une douzaine

de vallées ont été ravagées par les

écoulements de cendres et de blocs

dont les dépôts atteignent par

endroits plus de 10 m d’épaisseur.

Les déferlantes associées à ces

nuées – il s’agit de souffles de forte

énergie, surchargés de cendres et

lapilli, extrêmement meurtriers –

ont recouvert une large surface des

versants, détruisant la végétation et

une partie de l’habitat.

Au débouché des vallées, des deltas

constitués par ces matériaux se sont

formés, retenant en plusieurs endroits

les eaux des rios Chambo et Puela.

Fort heureusement, ces barrages ont

cédé lentement, sans former de vague

Recherche et préventionLe Tungurahua menace près de30 000 personnes réparties sur35 communes. Le réveil de 1999 com-mandait d’accroître les connaissancessur l’histoire du volcan et d’en renfor-cer la surveillance. Un projet du dépar-tement d’aide humanitaire de l’Unioneuropéenne (Echo) a contribué àatteindre ces objectifs. Aux côtés del’IRD et de l’IG, ce projet, Communautésaffectées par le Tungurahua : amoindrirles risques de vivre près d’un volcanactif, réunit une agence humanitairebritannique, une ONG américaine, ainsique deux organisations catholiqueséquatoriennes.En premier lieu, il s’agissait d’aider lespopulations vulnérables à se préparer àune catastrophe. De nouveaux moyensde communication et d’alerte, desschémas d’évacuation et d’héberge-ment, des installations d’équipementsde santé, etc., furent développés.L’information constante des villageoiset des réflexions sur leur perception durisque, ont forgé un comportementresponsable des populations et permisl’organisation de comités locaux d’ur-gence qui ont montré leur efficacité. En second lieu, les études géologiqueset géophysiques visent à mieux évaluerles aléas associés à l’évolution de l’acti-vité éruptive et à définir leur probabi-lité. « Le suivi quantitatif du débit desproduits solides, permettant d’établirdes pronostics de chutes de cendres entemps réel par secteur géographique,doit faire partie des analyses de rou-tine », insiste J.-L. Le Pennec, chargé derecherche à l’IRD. La reconstitution de lachronologie des éruptions au cours desderniers millénaires établit maintenantles relations entre fréquence, magni-tude et style d’éruption. La prochaineédition de la carte de risques en tientcompte. Globalement, dans un tempsrelativement bref, de nombreusesinformations ont été réunies1. ●

1. Valorisées par un séminaire scientifiqueinternational qui a regroupé 150 chercheursdes sciences de la Terre et des sciencessociales au mois de mai 2005.

L’observatoire Dès le début de la crise volcanique en1999, l’Institut de géophysique de l’EPN

s’est doté d’un observatoire permanentavec un double but : corréler des ob-servations visuelles aux informationsdes divers capteurs (sismologiques, dedéformation du sol…) et maintenir uneprésence scientifique toute l’année,jour et nuit, en contact permanentavec l’IG-EPN et les autorités du cantonde Baños. Ainsi, sur la base d’une infor-mation actualisée de l’état du volcan,une alerte peut être déclenchée à toutmoment. Une quinzaine de vigilesbénévoles habitant près du volcan sonten contact radio avec l’OVT et fournis-sent chaque soir le compte-rendu deleurs observations. Ce réseau d’infor-mateurs est une partie fondamentalede la surveillance car ils représentent« les yeux et les oreilles » de l’observa-toire. La surveillance sismologique est assu-rée par 9 stations. Deux inclinomètreset 5 stations de mesures à distancepermettent de surveiller les défor-mations de l’édifice1. Le taux de SO2

émis dans le panache est mesuré etdeux stations détectant les vibrationsdu sol spécifiques à l’avancée decoulées de boue sont situées de façonà prévenir l’arrivée de tels écoule-ments vers Baños. Une webcam tour-née vers le volcan fonctionne en per-manence et une caméra thermiquequi détecte les anomalies de chaleurest installée occasionnellement. Unestation météorologique complètecette instrumentation. ●

1. Une partie de ce matériel a été détruit parles récentes éruptions.

boueuse très destructrice. Plusieurs

nuées sont descendues en direction de

Baños, l’une d’elles s’arrêtant à

1,5 km de cette ville de 15 000 habi-

tants. Enfin, le nuage éruptif, emporté

à l’ouest par le vent, a déposé sur tout

le secteur occidental une couche de

cendres et lapilli. Des blocs de ponce

de plus de 20 cm ont été transportés à

10 km du cratère.

Six personnes demeurées en zone à

haut risque sont les seules victimes

de cette éruption explosive, immédia-

tement suivie par des coulées de lave

qui s’épanchèrent jusqu’aux basses

pentes. Les premières estimations de

volumes indiquent que près de 7 mil-

lions de mètres cubes de produits

pyroclastiques ont été émis le 14 juil-

let, alors que l’épisode du 16 août,

avec plus de 50 millions de mètres

cubes, semble bien correspondre à

une phase paroxysmale du cycle

d’activité éruptive commencé il y a

sept ans, étape déterminante à la fois

attendue et terriblement redoutée.

Au Tungurahua, sur près de vingt

événements importants produits au

cours des trois derniers millénaires,

la plupart sont de ce type, avec des

indices d’explosivité volcanique (VEI)

de 3, rarement 4, ce qui signifie entre

107 et 109 m3 de produits pyroclas-

tiques émis et une colonne éruptive

de 10 à 25 km. Un fut nettement plus

fort avec un VEI 5 (109 à 1010 m3,

colonne de plus de 25 km). Ces résul-

tats sont le fruit de nombreuses

recherches de terrain, associées à

des datations au C14, à l’interpréta-

tion des successions lithologiques

laissées par les éruptions anté-

rieures et au déchiffrage d’archives

L’origine des gaz

A u cours des dernières années, les quantités de dioxyde de soufre rejetéespar le volcan ont souvent dépassé 1 000 tonnes par jour, pour atteindre

jusqu’à 30 000 le 17 août. Les études conduites par J.-L. Le Pennec montrentque les variations des dynamismes éruptifs observés en surface peuvent s’ex-pliquer par un flux – ou panache – plus ou moins fourni de bulles. Le renou-vellement de magma non dégazé dans la partie haute du système magmatiqueétant assuré par des cellules convectives animées par ce panache.L’éruption en cours, comme celle de 1916-1918, pose le problème de la forteexplosivité d’un magma après une longue période de dégazage. À partir desmesures de flux de SO2 effectuées pendant la crise, de la mesure des élémentsvolatils (S, Cl, H2O) encore inclus dans les laves expulsées en juillet-août, et demesures pétrophysiques, l’établissement d’un bilan du dégazage doit permettrede remonter au taux de gaz initial dans le magma et à son origine. Les résul-tats de recherches utilisant les isotopes de l’oxygène, menées sur des produitscomparables émis par des volcans du Chili, mais d’un ordre de grandeur supé-rieur (1 à 10 km3) mettent l’accent sur les échanges possibles entre des rochesdu soubassement et le magma. Au Tungurahua, cette voie mérite d’être explo-rée pour comprendre le fonctionnement interne du volcan. ●

historiques. Ils comprennent égale-

ment des calculs et reconstitutions

par informatique de la dynamique

des éruptions passées.

Un comportement paradoxalLa prévision d’une éruption volca-

nique est encore rarement possible et

surtout, jamais assurée de succès. Le

comportement paradoxal du

Tungurahua ne fait que compliquer ce

problème. La phase paroxysmale

d’une éruption y est soit précoce, ou

bien intervient plus tardivement, au

cours ou plutôt vers la fin d’une longue

période d’activité. Par exemple,

l’éruption de 1886 a débuté soudaine-

ment avec l’expulsion de déferlantes

véloces et meurtrières, suivies peu

après par des nuées ardentes à

scories rubannées, ca-

ractéristiques d’un mé-

lange entre deux

magmas, plus ou moins

siliceux. En 1640,

emportant une partie du

sommet, un souffle s’est

répandu jusqu’à une

quinzaine de kilomètres,

recouvrant toute la zone

située à l’ouest de maté-

riaux cendreux. Un vil-

lage a probablement

disparu au cours de cet

événement.

Impacts de blocs dans un toit à 8 km du cratère.

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Localisation des trajets des écoulementspyroclastiquesémis les 14 juilletet 16 août (en bleu) sur la carte des menaces,publiée par l’IRDet l’EPN où la zone à hautrisque apparaîten rouge. Il ne s’agit quedes écoulementsde nuéesardentes, les zonesaffectées par les déferlantessont beaucoupplus larges et peuventrejoindre deuxvallées voisines.

Au lendemain d’une éruption, lescendres encore en suspension dansl’air forment comme un brouillard.

ContactsIRD Claude Robin [email protected]

Jean-Luc Le Pennec [email protected] Vallée [email protected] Eissen [email protected]

IG-EPN Hugo Yepes [email protected] Samaniego [email protected] Ramón [email protected] Hall [email protected]

Coulée de lave du 17 août.

En revanche, l’éruption de 1916-1918

a commencé modestement, avec des

épisodes d’activité mineure et des

périodes d’accalmie de plusieurs

semaines ou mois, puis des cycles

explosifs plus forts, pour aboutir,

après plus de deux années, à la

phase paroxysmale. Avec plusieurs

épisodes cendreux importants (août

2001, juin 2003), le développement

de l’activité initiée en 1999 est tout à

fait comparable.

Deux constatations ressortent : d’une

part, l’apparition précoce de la phase

paroxysmale semble corrélée à la pré-

sence de mélanges magmatiques – et

à des périodes d’activité explosive vio-

lentes et courtes –, alors qu’une acti-

vité plus longue semble « préparer »

cette phase paroxysmale ; d’autre

part, l’émission de laves annonce l’es-

soufflement du potentiel éruptif du

magma et le déclin de l’activité. Les

coulées de lave du 17 août figurent au

moins une pause de l’activité forte-

ment explosive. Il faut toutefois noter

qu’en 1918, une dernière phase de

nuées ardentes s’est produite six mois

après la phase paroxysmale. Ce seul

fait impose de rester vigilant.

Étant donné la nature cendreuse des

dépôts, la survenue de fortes coulées

boueuses est désormais prévisible. En

cas de pluies importantes, leur déclen-

chement est soudain et elles peuvent

persister des mois, voire une ou plu-

sieurs années. Les conséquences sont

multiples : forte érosion des versants,

destruction des voies d’accès (routes,

ponts) ayant résisté à l’éruption,

manque d’eau potable, etc. ●

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